Culture

L’exposition cherche à imaginer comment des œuvres virtuelles peuvent être adaptées à l’espace concret, tout en conservant leur caractère immersif. (Crédit : Juliette Diallo)

L’opéra de l’avenir

L’opéra est un art qui peut sembler difficile d’accès, voire figé dans le temps. Constructions opératiques vise justement à actualiser cette discipline et à renouveler sa pertinence en 2023. 

L’exposition s’ouvre sur un premier volet qui présente deux opéras, Vassilis de Méolphe, et Racines, créés dans le cadre d’un séminaire donné en 2019 par la compositrice et professeure à l’UdeM Ana Sokolovi?. L’auditoire présent écoute la composition, tandis que des esquisses abstraites censées représenter la mélodie apparaissent à l’écran. Les œuvres présentées explorent les thèmes communs de la mort, du deuil et de la transmission du savoir. 

Ce premier volet, malgré sa forme artistique traditionnelle, a pour particularité de rassembler des spécialités artistiques variées, dans le but de «?réunir les forces en art, en musique, en écriture et en design des étudiants de l’UdeM pour faire avancer cette forme d’art qu’est l’opéra?», explique Mme Sokolovi?.

L’UNION FAIT LA FORCE

Dans un esprit d’interdisciplinarité, tous les opéras présentés sont développés par des étudiant·e·s des facultés d’aménagement, de musique et des arts et sciences de l’UdeM.

Le public se trouve plongé dans la réalité augmentée lors du deuxième volet de l’exposition. (Crédit : Juliette Diallo)

Traditionnellement, un opéra est d’abord écrit par un·e librettiste, puis retranscrit musicalement par un·e compositeur·rice, avant d’être mis en scène. Constructions opératiques se distingue ainsi des façons de faire habituelles de l’opéra. Le mariage des diverses disciplines permet d’entrevoir le vaste potentiel de la création d’opéras contemporains, tout en s’éloignant des conventions. La commissaire de l’exposition, Marie-Josèphe Vallée, également professeure à l’École de design industriel de l’UdeM, décrit que «?dès le début du processus, les interactions et l’influence que les disciplines exerçaient entre elles ont permis un enrichissement et une complémentarité intéressante.?» 

De son côté, l’étudiante en design d’intérieur Catherine Coulombe, qui a participé à l’exposition, explique que travailler à plusieurs «?comporte son lot de défis, mais c’était super de procéder en cocréation dès le début du processus. C’était une façon de créer qui était encore plus libre et qui permettait d’aller plus loin dans la création, puisque chacun pouvait mettre son grain de sel.?»

OPÉRA 2.0

Le deuxième volet de l’exposition demande au public d’être actif et de plonger dans deux œuvres à l’aide de la réalité augmentée, afin de vivre une expérience immersive d’opéra accessible n’importe où au moyen d’une tablette électronique et d’écouteurs à conduction osseuse vivre. 

L’une des œuvres de ce volet, Following Comprehensive Analysis, Cause of Death of Montreal’s Humpback Remains Undetermined, est un court opéra inspiré de l’histoire du rorqual à bosse, une baleine retrouvée morte près de Varennes en juin 2020. 

À travers la réalité augmentée, l’auditoire se retrouve ainsi au pied du pont Jacques-Cartier, à l’heure où le soleil se couche sur le centre-ville de Montréal. Des personnes rassemblées pleurent la mort de l’animal, alors qu’un collage de phrases tirées du battage médiatique dont cet événement avait fait l’objet se fait entendre. Grâce à la magie de la réalité augmentée, entrer à l’intérieur du cétacé, dont le chant du désarroi de s’être égaré loin de son milieu naturel résonne, est possible. 

L’étudiant en cinéma Emmanuel Campeau a participé à la conception de l’œuvre, et cette expérience a élargi ses horizons sur la diversité des genres d’œuvres dans la création, notamment grâce à la technologie de réalité augmentée. Catherine partage également ce point de vue et précise que «?ce projet-là permettait d’aller loin dans l’artistique et dans le créatif, que ça ouvre des portes dans d’autres dimensions?». Une expérience qui nourrit aujourd’hui son travail de designer d’intérieur.

DU VIRTUEL AU RÉEL

Alors que le deuxième volet présente des œuvres conçues pour l’espace virtuel, le troisième, lui, propose «?un retour à l’espace concret?». Une maison dans la main, présentée en réalité augmentée au chapitre précédent, se retrouve alors transposée dans l’espace réel. Le système de son Audiodice, composé de haut-parleurs multidirectionnels fournis par la Société des arts technologiques (SAT), entoure le public et le plonge au cœur de cet opéra. 

L’ajout de tablettes ou de téléphones vise à démocratiser l’opéra et le rendre accessible à tous. (Crédit : Juliette Diallo)

Celui-ci raconte l’histoire d’un fils tentant de convaincre son père de quitter sa maison que des pluies diluviennes menacent d’inonder. Ainsi, ce dernier volet est le résultat d’un travail exploratoire cherchant à imaginer comment des œuvres virtuelles pourraient être adaptées à l’espace concret, tout en conservant leur caractère immersif. «?On n’est plus dans ce rapport très officiel, frontal de l’auditoire avec la scène, souligne Mme Vallée. Il y a une proximité qui offre une forme de démocratisation.?»

«?Au départ, on cherchait à démocratiser l’opéra, à le faire entrer dans les maisons d’une façon qui ne soit pas très dispendieuse pour le public, explique Mme Sokolovi?. On n’a pas besoin de casque ou de kit de réalité augmentée, on a seulement besoin d’un téléphone ou d’une tablette.?» Elle ajoute que cette innovation pourrait rendre l’opéra accessible aux «?personnes qui sont en région éloignée, malades, clouées au lit et à celles qui ne peuvent pas se permettre une sortie à l’opéra?». Les créations de Constructions opératiques pourraient d’ailleurs être proposées au grand public grâce au partenariat de l’Opéra de Montréal.

DES THÉMATIQUES ACTUELLES

Mme Vallée estime que la création d’opéras contemporains permet d’explorer des thématiques actuelles dans cette forme d’art souvent associée à des pièces jouées et rejouées depuis des centaines d’années. À titre d’exemple, les opéras La traviata (1853), Madame Butterfly (1904) ou Les noces de Figaro (1786) continuent d’être mis en scène à Montréal et partout dans le monde. 

La commissaire croit toutefois que s’identifier à des histoires contemporaines, comme celles mises en avant dans l’exposition, est plus facile. «?Les nouvelles thématiques ouvrent la porte vers des perspectives, ça concerne davantage le commun des mortels si on aborde des sujets qui nous sont directement reliés?», précise-t-elle. Que les deux créations du deuxième volet de Constructions opératiques touchent, au moins indirectement, à la question des changements climatiques, n’est sans doute pas anodin. La contemporanéité des thèmes du projet va de pair avec le choix de créer «?des opéras avec des jeunes qui écrivent les livrets, qui composent la musique et qui chantent pour rendre l’opéra pertinent pour les nouvelles générations?», s’enthousiasme Mme Sokolovi?, ravie du résultat.

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