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Que faire des ententes liant l'UdeM à des universités israéliennes ? Crédit : Juliette Diallo.

Boycotter les universités israéliennes ?

Dans le texte de sa résolution, la professeure agrégée au Département d’histoire de l’UdeM faisait état de nombreux rapports d’organismes de défense des droits de la personne, ayant émis de sévères blâmes envers l’État israélien. Elle citait à cet effet Amnesty International, Human Rights Watch, ainsi que deux groupes israéliens, Yesh Din et B’Tselem, qui ont tous qualifié le régime établi par Israël vis-à-vis des Palestinien·ne·s de « régime d’apartheid ».

Pour cette raison, et considérant « que les universités israéliennes entretiennent avec le complexe militaro-industriel israélien des liens exceptionnellement étroits », était-il écrit dans le texte de la résolution, Mme Hamzah proposait que l’UdeM suspende ses quatre partenariats la liant à des universités du pays, « jusqu’à tant que soit démantelé le régime d’apartheid israélien ».

Après de longs échanges, la résolution a été rejetée à 42 votes contre, 14 votes pour et 7 abstentions.

Prémisse acceptée en partie, conclusion rejetée 

Personne lors de l’Assemblée universitaire n’a remis en question le constat émis par les organismes cités dans la résolution. Une situation que Mme Hamzah s’explique mal, vu l’opposition qu’elle a suscitée. « Comment, en partant de la prémisse qu’il y a présentement un apartheid, on peut suivre ce constat d’un “mais” ? », s’interroge-t-elle.

L’une des raisons invoquées par plusieurs intervenant·e·s durant l’Assemblée est que le boycottage des universités israéliennes devrait aboutir, en toute logique, à une remise en question d’autres partenariats de l’UdeM, notamment avec des universités chinoises, iraniennes ou saoudiennes. Or, cet argument relève, selon Mme Hamzah, du « whataboutism » : en brandissant d’autres situations problématiques, la question n’est qu’évitée, estime la professeure.

Elle rappelle qu’à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, trois directeurs de fonds de recherche canadiens, dont celui du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), s’étaient engagés à ne pas conclure d’ententes avec des établissements de recherche russes. « Pourquoi ce qu’on fait vis-à-vis de la Russie ne pourrait pas être fait dans le cas d’Israël ? » demande alors Mme Hamzah.

L’étudiant au certificat en journalisme et membre de l’Assemblée universitaire Hadrien Chénier-Marais voit lui aussi une impasse dans ce type d’argument. Lors de la séance du 5 décembre, il a souligné qu’il serait pertinent que l’UdeM se questionne de manière générale sur les choix des ententes qu’elle passe avec d’autres institutions, au-delà du seul cas israélien.

Il se demande si une voie mitoyenne n’est pas envisageable dans ce débat. « Est-ce qu’il n’y a pas une autre option, entre couper tous les ponts et maintenir le statu quo vis-à-vis d’Israël ? s’interroge-t-il. Est-ce que l’Université ne pourrait pas, à tout le moins, faire pression sur le gouvernement canadien pour qu’il fasse pression à son tour sur le gouvernement israélien ? » Selon lui, l’Université devrait au moins remettre en question son entente avec l’Université Ariel, située dans une colonie israélienne (voir encadré).

Les ententes en question 

L’UdeM compte quatre ententes avec des universités israéliennes, dont une qui arrivera à échéance prochainement, celle la liant au Netanya Academic College. Les trois autres ententes concernent l’Université hébraïque de Jérusalem, l’Université de Tel-Aviv et l’Université d’Ariel. Ce dernier partenariat, qui ne concerne que l’École d’optométrie, est hautement problématique, selon Dyala Hamzah. Cette université se situe en effet en Cisjordanie, dans une colonie illégale au regard du droit international, rappelle-t-elle dans une annexe de sa résolution.

Des ententes avec des universités palestiniennes pour compenser ?

Comme alternative à la résolution de Mme Hamzah, plusieurs intervenant·e·s ont aussi proposé que l’UdeM s’engage à signer des ententes avec des universités palestiniennes, au lieu de couper les ponts avec les universités israéliennes. À l’heure actuelle, aucune entente de ce genre n’existe, mais la vice-rectrice aux partenariats communautaires et internationaux de l’UdeM, Valérie Amiraux, a précisé lors de l’Assemblée qu’elle était ouverte à travailler en ce sens, si l’intérêt se manifestait.

Or, Mme Hamzah doute que cette voie soit réalisable dans les circonstances. « Comment va-t-on faire venir les professeurs ? Comment va-t-on opérationnaliser ces ententes ? demande-t-elle. J’attends un collègue depuis deux ans et demi, qui est à l’Université al-Aqsa à Gaza, et qui a reçu une subvention des FRQ [NDLR : Fonds de recherche québécois] pour venir quatre mois ici, travailler avec moi. Mais il ne peut pas sortir du pays. Mme Amiraux a rencontré à ma demande le doyen à la recherche de l’Université de Bethléem en août dernier, mais n’a toujours pas été capable de conclure une entente avec lui aujourd’hui. »

Antisémitisme ?

Le débat du 5 décembre est resté somme toute « serein », aux dires d’Hadrien Chénier-Marais, mais une réflexion faite sur le texte de Mme Hamzah a tout de même marqué la séance. Le professeur au Département de sciences biologiques de l’UdeM Stéphane Molotchnikoff, qui a pris la parole en premier après la présentation de la résolution, a ainsi conclu son propos en disant sentir dans le texte « un parfum d’antisémitisme ».

Mme Hamzah avoue avoir été « heurtée » par les mots du professeur, qui s’est excusé depuis. « Être associée à ce terme peut être lourd de conséquences, explique-t-elle. C’est ma crédibilité en tant que chercheuse qui est remise en question. » Elle a demandé, pour cette raison, que soit retirée du procès-verbal toute mention d’antisémitisme, ce que les membres de l’Assemblée universitaire ont accepté à l’unanimité lors de la séance suivante, le 30 janvier dernier.

M. Molotchnikoff insiste : il n’a jamais traité personnellement Mme Hamzah d’antisémite et il ne la considère certainement pas comme telle. C’est « dans le texte » qu’il dit avoir perçu « un parfum d’antisémitisme », ce qu’il croit toujours. Or, la distinction faite par le professeur ne rend pas plus acceptables ses excuses aux yeux de l’autrice de la résolution. « C’est bien moi qui ai écrit la résolution, on ne peut pas séparer le texte de l’auteur, précise Mme Hamzah. Où est l’antisémitisme dans le texte de la résolution ? À quel mot, à quelle virgule peut-il en voir ? » Interrogé à ce sujet, M. Molotchnikoff avoue qu’il n’a pas d’exemples précis en mémoire et que son impression était plutôt générale. « J’ai trouvé que le texte des “attendus que était tellement négatif », révèle-t-il.

Le professeur approuve le fait que séparer la notion d’antisémitisme de la critique d’Israël est primordial. Lui-même reconnaît d’ailleurs que la situation actuelle relève du crime d’apartheid et que le gouvernement israélien mérite de sérieux reproches. Or, selon lui, couper les ponts entre l’UdeM et les universités israéliennes, « qui sont parmi les meilleures au monde », priverait l’Université de la possibilité d’influencer positivement le pays. Il note en outre la présence dans les universités israéliennes d’étudiant·e·s palestinien·ne·s.

« Oui, mais dans quelles conditions ? » rétorque Mme Hamzah. Au sujet des Palestinien·ne·s Israélien·ne·s qui peuvent se retrouver dans les universités, elle rappelle « que ce sont des citoyens de seconde zone, qui n’ont pas les mêmes droits que les autres Israéliens ».

Définition controversée du terme

 Mme Hamzah espérait que le débat autour de sa résolution pourrait se faire « hors du paradigme de l’IHRA [International Holocaust Remembrance Alliance] et de sa définition problématique de l’antisémitisme ». Le gouvernement Trudeau a inséré cette définition dans sa Stratégie canadienne de lutte contre le racisme et l’antisémitisme (2019-2022), mais elle est source de nombreux débats dans le monde universitaire, où certaines personnes s’inquiètent de son effet sur les discours critiques à l’égard d’Israël.

Une quarantaine de syndicats de professeur·e·s d’universités canadiennes ont ainsi contesté la définition de l’IHRA, dont le Syndicat général des professeurs et professeures de l’UdeM (SGPUM). Une résolution avait été votée en ce sens par celui-ci en février 2021.

 Mme Hamzah confie craindre les impacts sur la liberté universitaire de ce climat de « peur » entourant toute discussion sur Israël, ou tout type d’appui à la cause palestinienne. Le sujet de la liberté universitaire était d’ailleurs à l’ordre du jour lors de l’Assemblée du 5 décembre, tout juste avant la présentation de sa résolution.

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