L’envoyé spécial du Quartier Libre gravit la côte vertigineuse qui mène à la mystérieuse
Faculté de musique. Il est là pour s’entretenir avec Denis Brassard, le grand manitou de
l’atelier de pianos de l’UdeM, qui est une véritable clinique d’instruments meurtris. Il se
consacre à l’entretien du cheptel de pianos de la Faculté de musique.
Quartier Libre : Pourquoi
l’UdeM a-t-elle besoin d’un atelier
de réparation de pianos ?
Denis Brassard : C’est un peu moi
qui avais semé l’idée de faire l’entretien
avec le soutien d’un atelier,
il y a quelques années. L’UdeM possède
140 pianos, dont environ 55 à
queue. Ça fait 6 ans que je suis en
poste, et on effectue 800 accords
par année sur place.
Il y a une hiérarchie des pianos : on
a un horaire d’accordage propre à
chacun d’entre eux. Les pianos de
concert sont accordés ou retouchés
avant chaque récital.
(Ici quelqu’un cogne à la porte,
avec une demande spéciale. Le
piano pour son concert du lendemain
a une touche défectueuse :
Denis Brassard assure qu’il ira
s’en occuper.)
Mon travail, c’est de soutenir les
artistes. Bien sûr, on ne peut évidemment
pas changer la nature de
l’instrument !
Q.L. : L’usure se remarque-telle
beaucoup sur les pianos de
la Faculté ?
D.B. : Oui, elle est beaucoup plus
rapide que sur un piano de maison.
Les bons pianos sont utilisés
dès 7 h chaque matin. On a du travail
à longueur d’année. C’est un
peu moi qui décide quand on
remise un piano, mais souvent
l’instrument nous le signale.
Depuis 1 an (il désigne un piano
à queue placé dans l’atelier), les
cordes de ce piano brisent. Il a
25 ans. On va devoir lui refaire une
beauté. Les pianos ne sont pas tous
nés égaux, par contre, parfois ça
ne vaut pas la peine de les retaper.
Par ailleurs, comme l’achat d’un
piano neuf peut s’élever à 45 000 $,
et que des réparations majeures en
atelier coûtent environ 5 000 $,
rénover fait épargner. Un piano
bien conservé peut durer très longtemps
s’il est entretenu.
Q.L. : Est-ce que l’UdeM compte
son lot de pianos précieux ?
D.B. : On a notre vaisseau amiral :
un Fazioly de 1999, fabriqué en
Italie et de très grande qualité. Ils
n’en font pas beaucoup et ils sont
très chers : celui-ci vaut pas loin de
225000 $. Il y en a une vingtaine au
Canada dont une douzaine peut-être
à Montréal.
Q.L. : Quelle formation avezvous
eue, et pourquoi avoir
choisi cette voie ?
D.B. : Il y avait beaucoup de
musique dans ma famille, et puis le
piano était toujours en mauvais état
(rires). J’ai obtenu mon diplôme
en 1984 d’une école spécialisée de
Toronto. Ce programme m’a initié
à l’ébénisterie, à la métallurgie et
à la physique. En fait, il ne s’agit
pas seulement d’accorder un
piano, il faut savoir effectuer tous
les réglages, choisir les cordes et
se débrouiller ! La première année,
on recevait un piano droit en morceaux,
et il fallait qu’il joue bien à
la fin de l’année.
Q.L. : Comment accordez-vous
un piano ?
D.B. : Il y a un instrument électronique
qui nous aide à dresser un
canevas, et l’oreille effectue le reste
du travail. L’important, c’est que les
pianos sonnent bien, peu importe
les moyens qu’on prend ! On ne
chôme pas. Par exemple, le réglage
de l’échappement (démonstration
à l’appui), une petite vis qui maîtrise
la force du marteau sur la
corde, se fait 88 fois sur un piano
normal: une pour chaque touche.
En gros, il y a douze ajustements
par touche. Ça prend environ deux
jours pour ajuster un piano.
Q.L. : Trouvez-vous des objets
dans les pianos, des trophées
de guerre ?
D.B.: (Rires) Depuis que je suis ici
je n’ai pas encore acheté un crayon!
J’en trouve plein. Je trouve parfois
des bagues et des sous que les gens
échappent dans le piano. Et puis,
lorsque quelqu’un échappe du café
dans le piano, ça peut faire beaucoup
de dommages et nous coûter
plusieurs milliers de dollars en réparation!