Campus

Les secrets du campus de la Montagne

Dès que nous passons la porte noire qui mène à la salle des machines, l’électricité dans l’air se fait sentir. Ce qui frappe d’emblée, c’est l’enchevêtrement de tuyaux et de valves qui habite l’endroit et donne l’impression d’être dans les entrailles d’un vieux navire tel le Titanic. Trouver ces salles, qui servent à opérer et à maintenir les systèmes de ventilation, est possible un peu partout sur le campus, selon le contremaître de la Direction des immeubles de l’UdeM, Marc-André Bouvrette.

Située dans l’un des sous-sols du pavillon Roger-Gaudry, cette salle n’est toutefois pas comme les autres, explique son collègue, le préposé aux services généraux, Thai Ngoc Du, qui sert de guide à notre groupe de trois journalistes et d’autant de représentants de l’Université. Il nous mène à une porte qui cache une ouverture ciselée à même la structure de béton. Visiblement, celle-ci est un ajout qui ne figurait pas sur les plans originels du pavillon conçu par l’architecte Ernest Cormier.

Le couloir secret

Derrière cette salle se trouve un long couloir d’accès soutenu par de grands « V » inversés en béton. Quelques conduits d’eau et des dizaines de câbles électriques et de télécommunications qui semblent s’enfoncer dans les entrailles de la Terre y passent. « Depuis le temps que je travaille ici, je ne savais même pas que c’était-là », s’étonne M. Bouvrette.

 

Située dans l’un des sous-sols du pavillon Roger-Gaudry, cette salle n’est toutefois pas comme les autres. Crédit photo : Mathis Harpham

 

Le sol est jonché de roches et rappelle le lit asséché d’un ruisseau. La terre est friable et se défait légèrement sous nos pas. Nous avançons, accroupis, pour éviter de nous cogner la tête au plafond qui n’est guère plus haut qu’un mètre au-dessus du sol. Un mélange d’anxiété et d’émerveillement s’empare de notre groupe. « Il y a une porte au fond, mais je n’ai jamais essayé de l’ouvrir », mentionne M. Du.

Difficile d’imaginer que des personnes ont pu arpenter ce couloir de façon régulière. Pourtant, selon la Direction des immeubles, il aurait servi à transporter incognito le matériel dont avait besoin le laboratoire de recherche secret, lequel a opéré à l’Université entre 1942 et 1946. Nous imaginons des scientifiques à quatre pattes, tirant des caisses d’uranium ou roulant des barils d’eau lourde loin du regard des curieux. Une manœuvre qui aura partiellement fonctionné, puisque le laboratoire de Montréal est resté inconnu du public, mais pas des espions soviétiques, selon l’historien québécois Gilles Sabourin, qui en a immortalisé l’histoire dans son livre Montréal et la bombe, paru en 2020 aux éditions Septentrion.

Le laboratoire de Montréal

Nous suivons ensuite nos accompagnateurs du service des immeubles à travers de nombreux couloirs et ascenseurs. Nous nous retrouvons finalement désorientés, quelque part au deuxième étage du pavillon  Roger-Gaudry, dans un espace contrôlé réservé à la Division santé et sécurité au travail de l’UdeM (SST). Devant nous se trouve une porte qui pourrait être banale si un autocollant annonçant un danger de radiation n’y était pas apposé, collé bien en vue à la hauteur des yeux. Après avoir essayé plusieurs clefs, M. Bouvrette nous ouvre la voie. « L’espace a été légèrement réaménagé depuis, mais c’est ici qu’on a testé des pièces pour la bombe nucléaire », annonce-t-il.

Salle du laboratoire secret qui n’a pas encore été jugée sûre par l’équipe responsable de mesurer le risque d’exposition aux matières dangereuses, dont la radioactivité. Crédit photo : Mathis Harpham

 

Le laboratoire secret du pavillon Roger-Gaudry ressemble, à première vue, à un laboratoire de chimie : deux pièces sont vides et servent à entreposer des boîtes, une autre au plancher et aux murs bleu poudre est meublée d’un présentoir d’apothicaire et d’une longue table de travail. Un petit vestiaire avec des casiers et une longue salle avec des lavabos et des lave-yeux se trouvent au même endroit. « C’est plate, il y a seulement quelques mois, il restait beaucoup plus de détails, mais des travaux de réaménagement ont commencé dans cet espace », précise le contremaître.

Malgré tout, réaliser que ce petit complexe isolé du reste de l’Université est loin d’être anodin est facile. D’emblée, l’unique porte qui sépare l’endroit du reste du pavillon repose sur un imposant cadre de métal d’une trentaine de centimètres de profondeur peint de noir et de blanc. D’importants rivets permettent de supposer que l’endroit était protégé par une immense porte à l’époque où le laboratoire abritait l’équipe de
recherche sur la bombe et l’énergie nucléaire de la Grande-Bretagne. Selon les travaux de M. Sabourin, celui-ci n’a finalement que très peu contribué à l’avancement des travaux sur l’arme atomique, mais il a été à l’avant-garde du développement des traitements de radiothérapie pour combattre le cancer et a permis au Canada de devenir le deuxième pays à construire une centrale nucléaire fonctionnelle.

Le laboratoire secret se trouve quelque part au deuxième étage du pavillon Roger-Gaudry, dans un espace contrôlé réservé à la Division santé et sécurité au travail de l’UdeM (SST). Crédit photo : Mathis Harpham

 

Les murs eux-mêmes, composés de blocs de béton, sont massifs. Ils mesurent jusqu’à un mètre d’épaisseur à certains endroits. Les plafonds sont très hauts, même selon les standards du pavillon principal. Nous pouvons y remarquer un imposant système de ventilation, lequel ne semble pas avoir sa place dans cet espace relativement restreint.

Au fond, nous trouvons une porte infranchissable avec un cadenas et deux avertissements : « Attention, Isotopes radioactifs », suivi de : « S.V.P. Gardez cette porte fermée en tout temps. » Selon M. Bouvrette, cette salle n’a pas encore été jugée sûre par l’équipe responsable de mesurer le risque d’exposition aux matières dangereuses, dont la radioactivité. Déçus de ne pas pouvoir aller plus loin, nous pouvons toutefois apercevoir l’intérieur à travers une petite ouverture carrée munie d’un panneau jaune semi-translucide. À travers celui-ci, nous apercevons plusieurs seaux et barils avec des signes radioactifs. Nous imaginons que les scientifiques ont dû faire comme nous afin d’observer anxieusement les expériences qu’ils avaient conçues pour percer le secret de l’atome.

Le dôme de la chapelle oubliée

En ressortant du laboratoire, M. Du nous guide vers l’ancienne chapelle de l’Université, toujours au pavillon principal. Conçue dans les années 1920, alors que l’établissement appartenait à l’Église catholique romaine, elle n’a jamais été sanctifiée, selon la Direction des immeubles. Depuis 2009, cet espace abrite le Centre d’apprentissage des attitudes et habiletés cliniques (CAAHC), où les étudiant·e·s de la Faculté de médecine simulent leurs interventions sur des mannequins prévus à cet effet. « Il n’y a pas grand-chose à voir, ce sont surtout des bureaux… à moins qu’on monte dans l’entretoit », nous explique le préposé aux services généraux.

Nous y accédons en grimpant à une échelle de métal qui mène à une trappe. Dès que nous franchissons l’ouverture, nous sommes saisis par la vue. Le dôme évoque une énorme grotte de béton où nous voyons encore les marques de coffrages. Même les impressionnantes poutres qui soutiennent la structure de plusieurs dizaines de mètres sont faites de béton. L’absence de tout ornement rend l’expérience encore plus imposante.

Nous descendons du comble et nous pensons à ce dont avait l’air la chapelle avant qu’elle ne soit reconvertie, entre autres, avec ses ornements et son autel. Difficile à imaginer au milieu de bureaux, de lits d’hôpitaux et de distributeurs de solutés.

L’ancienne chapelle du pavillon Roger-Gaudry était là où se trouve maintenant le Centre d’apprentissage des attitudes et habiletés cliniques (CAAHC). Crédit photo : Mathis Harpham

 

En disant au revoir à nos guides, nous croisons une équipe de construction, outils et pots de peinture à la main. Ils s’affairent aux travaux de réaffectation des espaces des pavillons Roger-Gaudry et Marie-Victorin. Ces travaux, dont le budget est estimé à plus de 350 millions de dollars, devraient transformer considérablement ces immeubles. De nombreux repaires secrets, où la communauté étudiante se rassemble pour discuter, créer des amitiés, tomber en amour et parfois même apprendre, pourraient se trouver cachés derrière les nouvelles installations… pour, qui sait, mieux être retrouvés par les étudiant·e·s intrépides de demain.

 

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