Volume 28

Des membres de l’Association étudiante en anthropologie prennent part aux mobilisations pour le désinvestissement de l’UdeM. Photo : Matéo Gaurrand-Paradot.

Revendications étudiantes : Le souvenir d’un mouvement et l’espoir d’un autre

« Ça nous a donné de l’espoir de voir qu’il y a autant de gens qui peuvent se mobiliser et faire changer les choses », affirme l’étudiante en première année au baccalauréat en anthropologie Viviane Isabelle. Rencontrée en marge de la manifestation pour le désinvestissement des énergies fossiles de l’UdeM du 16 février dernier, elle précise militer au sein du comité de mobilisation de l’Association étudiante en anthropologie de l’UdeM (AÉAUM).

D’autres étudiant·e·s de ce comité notent l’impact de la grève étudiante de 2012. « Ça a tellement été un moment clé dans les grèves qu’on en reparle souvent, témoigne l’étudiante en deuxième année au baccalauréat en anthropologie Agathe Cadieux. Quand les gens disent que les grèves ne servent à rien, on prend l’exemple de 2012, où la grève a abouti à de nouvelles élections. Sans ça, on ne serait pas à la même place aujourd’hui, c’est un exemple pour les futurs mouvements. »

La manifestation pour le désinvestissement était organisée par L’Écothèque, un regroupement étudiant engagé dans la lutte aux changements climatiques fondé durant la pandémie. L’étudiante en deuxième année au baccalauréat en science politique et philosophie et porte-parole du regroupement, Anne Desruisseaux, considère que le Printemps érable a donné un sens à ce que fait le militantisme. « C’est super inspirant, que la communauté étudiante à travers le Québec se soit unie, déclare-t-elle. Ça a montré qu’on a le pouvoir d’influence. »

L’évolution des luttes étudiantes

Anne Desruisseaux, étudiante en deuxième année au baccalauréat en science politique et philosophie et porte-parole de L’Écothèque. Photo : Mathis Harpham.

En 2022, les débats politiques ne sont pas les mêmes qu’en 2012. L’augmentation des frais de scolarité ne fait plus les manchettes. Les dernières années ont plutôt été marquées par des grèves pour le climat et la justice sociale.

Pour Agathe Cadieux, même si les luttes étudiantes ont changé en 10 ans, elles reprennent vraiment cette année, avec le mouvement pour la gratuité scolaire. Viviane Isabelle fait le même constat et estime que l’éducation a souffert d’un définancement au cours des 30 dernières années. « Les gros enjeux de la mobilisation étudiante aujourd’hui, ce sont la crise climatique ainsi que la gratuité scolaire, souligne l’étudiante. C’est un mouvement de fond dans plusieurs universités, qui est parti de l’UQAM. Je pense que c’est en train de revenir et j’ai confiance dans le fait que ça va se passer. »

L’étudiante en première année au baccalauréat en science politique et militante pour L’Écothèque Éloïse Cauchy-Vaillancourt conçoit également la crise climatique comme la grande cause de 2022, tout en constatant que le sujet de la gratuité scolaire revient sur le devant de la scène.

L’enjeu de la rémunération des stages est également mentionné par des étudiant·e·s comme étant important. Selon Anne Desruisseaux, « l’absence de rémunération des stages contribue à la précarité étudiante ». Du côté de l’Union étudiante du Québec (UEQ), le président par intérim Jonathan Desroches explique qu’une loi sur la protection légale des stagiaires a été adoptée par l’Assemblée nationale le 24 février dernier. Il précise toutefois que celle-ci ne prévoit aucune disposition quant à la rémunération des stagiaires.

Des souvenirs morcelés

Éloïse Cauchy-Vaillancourt, étudiante en première année au baccalauréat en science politique et membre de L’Écothèque. Photo : Mathis Harpham.

Alors que les plus jeunes étudiant·e·s avaient 9 ou 10 ans au moment du Printemps érable, leurs souvenirs restent plus ou moins présents. « En 2012, j’avais 12 ans, c’était il y a longtemps, raconte Agathe Cadieux. Dix ans plus tard, ça rentre dans l’imaginaire. »

Éloïse Cauchy-Vaillancourt conserve quelques souvenirs de 2012, malgré son jeune âge. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’elle a commencé à militer. « Je loupais les cours de sixième année pour aller aux manifestations, se remémore-t-elle. Ensuite, le soir, c’était les casseroles avec mes parents. » Elle ajoute que ce mouvement l’a profondément inspirée. « Je voulais être au cégep ou à l’université, confie-t-elle. Je voulais être comme les gens qu’on voyait à la télé, comme Gabriel Nadeau-Dubois [NDLR : L’une des grandes figures médiatiques du Printemps érable]. Je crois que ça m’a forgée en tant que militante. »

Viviane Isabelle, pour sa part, ne s’en souvient pas beaucoup, mais dit se rappeler des casseroles. En revanche, le souvenir est encore bien vivant dans le local de l’AÉAUM. « Les murs de notre association sont tapissés de banderoles de 2012, révèle l’étudiante. C’est comme un musée du Printemps érable. »

« Le Printemps érable, on en vient même à l’idéaliser,affirme l’étudiant en première année au baccalauréat en anthropologie Mathieu Bernard Tardif. C’est quasiment un modèle de mobilisation auquel on veut aboutir. » Depuis qu’il est au cégep, il espère l’émergence d’un grand mouvement. « Avant la pandémie, on rêvait d’une grève générale illimitée, explique-t-il. Depuis Fridays for Future [NDLR : Mouvement international de grèves scolaires pour le climat initié par la Suédoise Greta Thunberg], on peut imaginer un mouvement mondial sur l’enjeu climatique. »

Une influence limitée de la grève de 2012

Ainsi, depuis le Printemps érable, d’autres mouvements ont inspiré les étudiant·e·s militant·e·s, surtout les grèves mondiales pour le climat de 2019. Cette année-là, en septembre, la plus grande manifestation de l’histoire du Québec avait été organisée par des comités étudiants et avait rassemblé près de 500 000 personnes, selon les estimations des organisateur·rice·s.

Ce n’est pourtant pas la seule source d’inspiration pour ces militant·e·s qui, pour la plupart, évoluaient alors dans le milieu collégial. Pour Mathieu Bernard Tardif, la grève générale pour la rémunération des stages, laquelle a également eu lieu en 2019, a été un tournant dans son parcours. « La grève des stages de 2019 a été ma première assemblée générale, précise-t-il. Ça m’a donné la piqûre du militantisme. » Ce moment a aussi été déterminant pour Agathe Cadieux et Viviane Isabelle qui le voient comme les débuts de leur soif de mobilisation.

« La portée du mouvement de 2012 n’a pas été si grande sur les actuels jeunes étudiants, déclare le professeur de sociologie à l’UdeM Pierre Hamel. L’université et les rapports sociaux n’ont pas été transformés, la portée du mouvement pour l’environnement ou pour le droit des femmes est bien plus grande. »

Le militantisme en 2022

« C’est clair qu’avec la pandémie, les étudiants militants ne sont pas aussi rassemblés qu’en 2012, constate Anne Desruisseaux. Beaucoup d’organisations étudiantes se sont dissoutes, les anciens membres ont gradué, et avec les cours en ligne, les nouveaux étudiants étaient moins au courant de ce qu’il se passe ou de la façon dont les associations fonctionnent. »

« Ce n’est pas le Printemps érable qui a créé les associations étudiantes de campus, mais l’inverse », estime toutefois Jonathan Desrosches. Il tient d’ailleurs à rappeler que certaines associations étudiantes, dont la Fédéraration des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal, se sont réunies en 2016 pour former l’Union étudiante du Québec. Il souligne que l’organisation qu’il préside se bat sur des enjeux différents de ceux d’autres groupes militants. « Une problématique importante est l’accessibilité universelle, affirme-t-il. En 2012, on parlait d’accessibilité financière ; aujourd’hui, on en parle pour les étudiants en situation de handicap. Parmi les autres enjeux, il y a aussi la santé mentale et la menace du milieu financier sur les régimes d’assurances. »

Néanmoins, les frais de scolarité pourraient bien être remis de l’avant le 22 mars prochain. Des associations étudiantes universitaires et collégiales se rassembleront à Montréal pour réclamer la gratuité scolaire et célébrer les 10 ans d’un mouvement qui continue à marquer les militant·e·s.

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