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L'augmentation des coûts des aliments s’explique principalement par l’effet de la pandémie sur les chaînes d’approvisionnement, selon le professeur adjoint au Département de géographie de l’UdeM et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie politique de l’alimentation et du bien-être, Sébastien Rioux. Crédit photo : Mathis Harpham

Un déjeuner qui rend plus léger… le compte en banque

Une surprise attendait les étudiant·e·s au moment de leur retour sur le campus, après un début de session marqué par le retour des cours en ligne. Chez Local Local, le service alimentaire de l’Université qui recoupe la grande cafétéria Chez Valère, les cinq comptoirs de restauration, le dépanneur des résidences et un service de traiteur, des avis bien en vue affichaient une augmentation des prix.

« Quand j’ai vu qu’ils annonçaient une hausse de prix, je me suis dit : « Pardon C’est déjà très cher ! » », témoigne l’étudiante en première année au baccalauréat en psychologie BabyLee Marcelin, rencontrée par Quartier Libre près du comptoir du pavillon Marie-Victorin.

Une hausse inférieure à l’inflation

L’augmentation moyenne des prix est d’environ 5 à 7 %, selon le directeur des résidences, hôtellerie et restauration de l’UdeM, Pascal Prouteau. « Les gens vont dire : « 7 %, vous êtes des voleurs ! », mais ce qu’il est important de préciser, c’est que normalement, on les augmente de 3 à 4 % par année et qu’on ne l’avait pas fait depuis septembre 2019 », explique-t-il.

Le directeur rappelle que Local Local absorbe tout de même une partie de la hausse du prix des aliments. « Nous ne faisons pas cela de gaieté de cœur, déclare-t-il. Ceux qui font leur épicerie le savent, il suffit de regarder six mois en arrière pour réaliser à quel point les prix ont augmenté. »

Selon Statistique Canada, le coût moyen des aliments au pays aurait effectivement augmenté de 8,3 % depuis septembre 2019. Les services alimentaires de l’Université auraient donc un manque à gagner de 1,3 à 3,3 %. Cette augmentation s’explique principalement par l’effet de la pandémie sur les chaînes d’approvisionnement, selon le professeur adjoint au Département de géographie de l’UdeM et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie politique de l’alimentation et du bien-être, Sébastien Rioux. « Nous sommes dépendants des marchés mondiaux pour une très grande partie de notre alimentation et il y a actuellement d’importants problèmes pour la mobilité des produits et pour la main d’œuvre bon marché sur laquelle repose le système alimentaire », précise-t-il.

Cette pression sur les prix touche certains produits plus que d’autres, dont le café, qui est de loin le produit le plus populaire chez Local Local, d’après M. Prouteau. Selon les documents consultés par Quartier Libre, depuis le 23 janvier 2022, le café coûte aux services alimentaires entre 9 et 33 % de plus lorsqu’ils s’approvisionnent auprès de leur fournisseur. Les hausses varient notamment en fonction de la provenance et des types de café achetés : en grain, moulu, K-cup, décaféiné, etc. Selon le directeur, elles sont en partie absorbées par les services alimentaires.

 

BREF HISTORIQUE DE CHEZ VALÈRE

La cafétéria Chez Valère a été nommée ainsi en 2003, en hommage à l’ancien chef des cuisines, Valère Lavallée. De 1935 à 1970, M. Lavallée servait lui-même les repas qu’il préparait, apportait un soutien à la communauté étudiante et s’impliquait aussi au niveau de l’Université, selon les témoignages de personnes qui ont pu le côtoyer.

L’homme bien-aimé a laissé sa marque dans l’imaginaire de la collectivité udemienne. On rapporte qu’il s’affairait à proposer de la nourriture de qualité et qu’il s’efforçait de rendre le tout aussi abordable que possible pour la communauté étudiante.

 

Selon les archives du 24 novembre 2003 de la revue Forum de l’Université de Montréal

 

Le prix de la rentabilité…

Local Local s’efforce de diminuer ses frais d’exploitation pour éviter de passer la facture à la communauté universitaire, d’après M. Prouteau. « Nous sommes obligés de revoir toute notre logistique et nos opérations », précise-t-il. Le service alimentaire aurait entre autres rendu l’un des deux camions qu’il louait pour le service de traiteur, même si celui-ci fonctionnait très bien, afin de poursuivre ses opérations.

M. Prouteau veut toutefois éviter de sacrifier des employés ou de faire des concessions sur la qualité des aliments, ce qui laisserait peu de place pour absorber la hausse du coût de ces derniers. Il précise que Local Local ne cherche pas à faire de profit, mais simplement à être rentable. « Il faut tout de même payer la matière première et les employés, qui ont droit à des conditions de travail généralement pas mal meilleures que ceux qui travaillent dans certaines chaînes de restaurant ou dans les supermarchés », indique-t-il.

Baby-Lee Marcelin dit comprendre que l’Université gère elle-même ses services alimentaires et qu’elle ne cherche pas à en tirer profit, mais elle voit tout de même les choses différemment. « Avec ce que l’on paie en frais de scolarité, la nourriture pourrait être moins chère », avance-t-elle.

… et de la transition écologique

Il est également normal que l’utilisation de produits locaux, privilégiés par Local Local, ce que sous-entend son nom, vienne faire grimper la facture, selon M. Rioux. Il rappelle que pour l’immense majorité des services alimentaires, la production et la distribution des aliments reposent sur l’exploitation de travailleurs qui gagnent à peine de quoi survivre. « Le système alimentaire actuel arrive à faire baisser les prix de façon importante en exploitant la maind’œuvre d’ailleurs, déplore-t-il. Évidemment, lorsque les processus de production sont faits « à la maison », les prix montent considérablement. »

Le développement durable est aussi au cœur de la mission de Local Local, soutient M. Prouteau. « Nous misons beaucoup sur les produits locaux, la nourriture de qualité et les options santé, mais c’est évident que ça se répercute sur le coût », justifie-t-il. Selon lui, il est important que l’Université soit un exemple à suivre en la matière. « Nous sommes conscients que la communauté universitaire ne roule pas sur l’or, et nous sommes constamment en train de jongler entre la qualité de la nourriture, le coût et le facteur écologique », poursuit-il.

L’étudiante en première année au baccalauréat en psychologie Océane Magnan partage le même avis. « Je n’ai pas beaucoup d’argent, j’aimerais que ce soit moins cher, mais en même temps, je trouve que protéger l’environnement est important, témoigne-t-elle. C’est peut-être le prix à payer, malheureusement. »

Cette réflexion illustre bien le cœur du problème, selon M. Rioux. « C’est facile pour quelqu’un qui gagne 300 000 $ par année d’encourager les producteurs locaux et écoresponsables, mais les étudiants vivent souvent sur des prêts, fait remarquer le professeur. Ils n’ont pas la possibilité de vivre selon leurs valeurs. »

Cette pression sur les prix affecte certains produits plus que d’autres. Le café est un de ceux-là. Crédit photo : Mathis Harpham

Une écotaxe à venir

Pour mieux s’arrimer aux valeurs étudiantes, Local Local travaille aussi à réduire les déchets que produisent ses services. « Je ne sais pas si le zéro déchet est réaliste, mais nous aimerions nous en approcher le plus possible », affirme M. Prouteau. Ainsi, en plus de l’application CANOtogo, laquelle permet déjà d’emprunter des tasses, des plats réutilisables seront proposés à partir de la session d’automne 2022.

Le directeur de Local Local précise que les étudiant·e·s devront d’ailleurs payer d’ici quelques mois une écotaxe s’ils privilégient des produits avec des emballages ou des contenants à usage unique. Celle-ci sera de 25 cents pour les tasses et de 50 cents pour les autres emballages. « Nous avons réalisé que les autres universités le faisaient et que si nous ne touchions pas au portefeuille des gens, ils n’étaient pas prêts à faire les efforts », déclare-t-il.

M. Prouteau rappelle que Local Local paie pour que le service de location de tasses soit gratuit. Ces frais équivaudraient au prix avec taxe d’un gobelet compostable, soit 20 cents par tasse. À ce montant s’ajoute le prix de la main-d’œuvre et des produits nécessaires pour la manipulation et le nettoyage des tasses. « Un montant que l’on est heureux de payer, parce que ça nous amène dans la bonne direction », souligne-t-il.

L’arrivée prochaine de l’écotaxe est vue comme un moindre mal par Océane Magnan : « C’est comme les sacs de plastique, explique-t-elle. Si tu ne prévois pas ton plat, c’est ton problème, surtout s’il y a d’autres options. À un moment donné, il faudra sortir du plastique. »

Malgré la hausse de prix récemment annoncée, M. Prouteau considère toujours que Local Local doit veiller à ce que les étudiant·e·s aient accès à de la nourriture abordable. « Nous savons que la communauté étudiante ne roule pas sur l’or, c’est pour ça que nos hausses demeurent inférieures à l’inflation, résume-t-il. […] Étant autofinancés, nous cherchons la rentabilité afin de payer les charges et évoluer au niveau du développement durable. »

 

*Selon le Rapport annuel sur les prix alimentaires, 2022

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