Pascal Dumont a été photographe pour Quartier Libre lors de son passage à l’UdeM de 2011 à 2013, période au cours de laquelle il avait notamment couvert les grèves étudiantes. Publié dans de grandes revues internationales comme The Guardian ou Le Monde, il s’est ensuite envolé pour Moscou, où il a photographié et réalisé des reportages vidéo pour le Moscow Times et CBC News. De passage le 19 mars dernier dans l’émission Quartier Libre sur CISM, il est revenu sur son parcours et a témoigné de son quotidien de journaliste correspondant en Russie.
Quartier Libre : Comment es-tu devenu photojournaliste ?
Pascal Dumont : Je suis allé voir la rédaction de Quartier Libre et je lui ai expliqué que j’aimerais faire les photos pour le journal. On m’a envoyé couvrir une première manifestation, et c’est là que tout a commencé. Ensuite, tout s’est fait assez rapidement. J’ai terminé ma maîtrise en études internationales fin 2013 et je devais trouver un stage. J’ai tout simplement envoyé un courriel au Moscow Times, pour demander à y travailler pendant trois ou quatre mois, et j’ai été pris. C’était au moment où l’armée russe avait annexé la péninsule de Crimée, donc je me suis rapidement retrouvé là-bas. À la fin de mon stage, on m’a proposé un permis de travail.
Je suis arrivé au bon moment, j’ai appris sur le tas. J’ai commencé à faire de la vidéo. De là, ça s’est transformé en un travail pour le service anglais de Radio-Canada, CBC News, dans l’émission The National, dans laquelle je suis resté trois ans.
Q. L. : Pourquoi cet attrait pour Moscou ?
P. D. : Je ne sais pas vraiment, ça s’est fait rapidement. J’aurais pu me ramasser dans un autre pays pour faire mon stage, mais vu que j’avais suivi quelques cours de russe, j’avais une base. C’est un endroit où il n’y avait pas beaucoup de touristes, un endroit mystérieux, méconnu, difficile d’accès, avec une langue qui n’est pas évidente. Heureusement, quand on est photographe ou vidéographe, on est souvent rattaché à un journaliste à l’écrit. Les journalistes avaient un meilleur niveau de russe que moi.
Q.L. : Qu’est-ce que les années à Quartier Libre t’ont apporté professionnellement ?
P. D. : Je dirais le professionnalisme journalistique, la rigueur. Vérifier toute information qui est donnée. Encore aujourd’hui, je trouve que ça a été une super école. Quartier Libre m’a appris à respecter les deadlines, à poser les bonnes questions. À ne pas prendre position aussi, c’est l’un des principes de base journalistique : arriver en entrevue sans idées préconçues, laisser le reportage se construire devant soi. Même aujourd’hui, je trouve que ça reste l’un des endroits les plus éthiques dans lesquels j’ai pu travailler.
Q. L. : En 2013, Quartier Libre a été élu meilleur journal étudiant universitaire au Québec, en remportant le concours le Devoir de la presse étudiante. Peux-tu nous parler de cette année qui t’a valu ces honneurs ?
P. D. : Je ne me souviens plus à quoi ce prix se rattache, mais il me semble que c’est pour l’ensemble de notre couverture. Le plus gros travail qu’on ait fait à l’époque était la couverture de la grève étudiante de 2011-2012. Ça a vraiment été un événement marquant, qui nous avait tous pris. On travaillait sept jours sur sept, avec des heures pas possibles.
Puisqu’on était à l’UdeM, on avait des accès que les autres grands médias n’avaient pas nécessairement. Je me souviens d’une journée où l’Université avait engagé une firme de sécurité privée qui avait envahi tous les couloirs de l’UdeM. Les agents étaient partout, avec des caméras. J’avais pris des photos et on en parlait beaucoup sur les médias sociaux. Ça devenait viral. À cette époque-là, La Presse avait téléphoné à Quartier Libre pour avoir ces photos.
Q. L. : Qu’est-ce qui diffère dans le travail entre un journal étudiant et un journal « traditionnel » ?
P. D. : Je dirais peut-être les budgets. Mais même là, en presse écrite, dans un média comme The Guardian ou Le Monde, les budgets sont minimes. Il n’y a plus d’argent dans la presse écrite, malheureusement, et ça ne s’arrange pas vraiment.
Si on part effectuer un reportage, si on peut avoir un hôtel, ce sera le moins cher. Sinon, on essaye de dormir chez des amis. En revanche, quand je compare avec les budgets de Radio-Canada, c’est tout l’opposé. Ils sont vraiment incroyables, irréels. J’hallucinais, parce que je m’étais habitué à travailler avec Quartier Libre ou le Moscow Times, où on recevait 1 000 dollars, et c’est fou ce qu’on pouvait faire avec cette somme-là. À Radio-Canada, une minute de communication par le camion satellite peut couter 1 000 euros*, ce qui peut devenir dispendieux quand on va couvrir l’atterrissage de David Saint-Jacques au milieu du Kazakhstan.
Q. L. : Un journaliste peut-il encore espérer être envoyé à l’étranger ?
P. D. : Ça arrive encore. J’ai des amis qui y sont envoyés, mais cela se fait de moins en moins. C’est surtout réservé aux journalistes qui sont depuis longtemps dans un média. Pour les pigistes, c’est plus rare. Si on est déjà à l’étranger, ça peut arriver qu’un média en profite et qu’il te paie à la journée, sans nécessairement payer les frais de fonctionnement. Sinon, c’est aussi possible par le biais de bourses ou de fondations. Il y en a beaucoup sur le site de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.
Q. L. : Le photojournalisme en tant qu’indépendant, c’est comment ?
P. D. : Ce n’est pas évident. Ça demande d’entretenir énormément son réseau. Avant la pandémie, il était possible d’avoir ce contact physique dans les festivals, comme celui Visa pour l’image, à Perpignan.
Envoyer des courriels, faire des pitch, c’est possible, mais la plupart du temps, les messages restent sans réponse. C’est un milieu qui n’est pas facile. C’est pourquoi je me suis lancé dans la vidéo vers 2014. Rendu dans les dernières années, je fais encore des reportages photo, mais mes revenus proviennent à 90 % de la vidéo et du montage.
Q. L.: Comment vis-tu le fait de travailler dans une entreprise médiatique en Russie ?
P. D. : En tant que journaliste étranger, c’est relativement facile, dans le sens où on va rarement avoir le temps ou le budget pour faire du journalisme d’enquête. Les sujets ne vont pas forcément déranger le gouvernement russe. Le plus souvent, ils sont dans des langues étrangères, que la population russe ne va pas forcément comprendre. Donc on a quand même une très grande liberté.
En revanche, si on prend les journalistes russes, c’est un risque constant. Ils mettent leur vie en jeu, surtout quand ils commencent à enquêter sur la corruption, sur le gouvernement, sur l’argent. Oui, il peut y avoir des journalistes qui disparaissent, qui peuvent tomber d’un balcon par « accident », qui peuvent se faire assassiner ou emprisonner.
* Un peu plus de 1 485 dollars