Les entreprises WOW Tech, qui commercialise les jouets sexuels Womanizer, et Bivea Medical, qui produit les coupes menstruelles Lunacopine, ont publié les conclusions de leur étude commune, intitulée Menstrubation, contraction de « menstruations » et de « masturbation ». Les résultats présentent la masturbation comme un outil capable de réduire les douleurs menstruelles. Expertes et adeptes de la pratique se confient.
« La sexualité et la santé reproductive, particulièrement celles des femmes, sont encore des sujets tabous », estime la directrice des relations publiques et responsable de l’autonomisation sexuelle chez WOW Tech, Johanna Rief. Face au peu d’informations disponibles sur le sujet, son équipe a décidé de prendre les choses en main en lançant l’étude Menstrubation en mai 2020.
Des résultats prometteurs
« L’intérêt que nous avons reçu a largement dépassé nos attentes, poursuit Mme Rief. Plus de 20 000 personnes se sont inscrites pour participer de façon volontaire à notre étude. » Parmi les 486 personnes sélectionnées au hasard pour participer pendant six mois à l’étude, 70 % ont rapporté une diminution de la douleur liée aux menstruations avec la masturbation[i].
Pour la responsable de la campagne Rouge du Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF) [ii], Victoria Doudenkova, ces résultats sont une belle occasion d’amorcer une conversation et d’élargir les perspectives sur les menstruations. « C’est intéressant pour beaucoup de femmes, ça démontre l’intérêt d’aller investiguer pour mieux comprendre », ajoute-t-elle. Elle trouve pertinent de voir dans cette étude un outil pour se réconcilier avec son corps ou se le réapproprier. Cependant, elle met en garde face à une démarche commerciale qui renvoie vers une solution créant de nouveaux besoins, en rappelant qu’il est possible de se masturber sans utiliser de jouets dispendieux, tels que ceux fournis dans le cadre de l’étude.
Mme Doudenkova s’interroge par ailleurs sur les possibles conflits d’intérêts et biais liés à l’étude. « C’est un rapport qui est présenté pour faire du bruit, pour plaire aux médias et encourager à acheter, donc pour poser un regard scientifique sur la chose, il faut attendre d’avoir un peu plus d’informations détaillées », prévient-elle.
Une expérience personnelle gratifiante
Convaincue des nombreux bienfaits des plaisirs solitaires, Mélodie Nelson, blogueuse et auteure [iii], a profité d’une semaine pour les vérifier. « La masturbation m’aide tout le temps, mais, menstruée, elle me semble magique. Je la prescrirais à quiconque a un peu de libido même quand Satan semble mâchouiller son utérus », a-t-elle déclaré dans un billet publié sur le site Internet Vice [iv]. Elle confirme ainsi un soulagement de ses crampes. « À la suite de contractions du périnée lors de l’orgasme, des saignements plus importants surviennent, mais après, le flux est plus léger », observe-t-elle, à l’écoute de son corps. C’est une sensation qui résonne chez d’autres adeptes de la pratique. « Après, j’ai l’impression de sentir mon utérus qui se contracte, comme en écho aux contractions de l’orgasme, confie Alice*. Et je dirais que c’est efficace en vrai, parce que j’observe réellement que des caillots sont évacués par la suite. »
Cette approche peut même être vécue comme une reprise de pouvoir sur son corps. « Plutôt que de subir quand j’ai mal, j’essaie de mieux gérer ma douleur, explique la jeune femme. J’essaie, par exemple, de bien synchroniser ma prise d’anti-inflammatoires, mais quand j’arrive à diminuer mes crampes sans médicament, par moi-même, je me sens un peu comme une sorcière. »
Les mécanismes derrière les bienfaits
« Les mécanismes d’action sont simples, indique la vice-présidente de l’organisme de lutte pour la santé sexuelle Les 3 sex [v], Emmanuelle Gareau. Avec l’orgasme, des endorphines sont libérées et ont un effet analgésique, en plus d’apporter une sensation de détente. La stimulation en elle-même peut aussi saturer le système nerveux, et les sensations agréables neutralisent ou même surpassent les sensations douloureuses. »
La chercheuse en sexologie et collaboratrice au média Club Sexu [vi] Léa Séguin abonde dans le même sens. Elle mentionne la contribution de la dopamine et de l’ocytocine, deux hormones associées à des sentiments de bien-être. « Quand tu te sens bien, ta réponse à la douleur change », précise-t-elle. Au niveau utérin aussi, l’orgasme peut apporter un soulagement. « Une partie de la douleur pendant les menstruations vient de l’utérus qui se contracte pour expulser le sang, les contractions de l’orgasme peuvent assister en boostant l’évacuation, ça donne une petite pause par la suite, et donc moins de douleurs », ajoute-t-elle.
Mme Gareau se questionne cependant sur les conditions nécessaires pour obtenir un soulagement. « Les études se basent souvent sur l’orgasme et l’effet que peut avoir la masturbation sans atteindre l’orgasme n’est pas encore clair aujourd’hui », souligne-t-elle. En réponse, Mme Séguin rappelle que tous les processus précédemment cités sont présents dans la phase d’excitation sexuelle, à plus petite échelle.
Le simple fait de concentrer son attention ailleurs, de faire une pause et de prendre un moment pour soi peut déjà faire une différence, selon Mme Gareau. « Le self-care est une des stratégies les plus utilisées pour gérer sa douleur et la masturbation peut très bien en faire partie ».
La masturbation n’est pas une panacée
Malgré les bienfaits relevés par l’étude, la masturbation n’est peut-être pas en mesure de résoudre tous les symptômes liés aux menstruations. Alice souligne que la douleur peut parfois être une barrière trop grande à surmonter. « Des fois, ça m’a aidée, mais je dois avouer que les fois où j’ai eu les plus grandes douleurs, celles qui paralysent, coupent le souffle et donnent la nausée, je n’étais pas vraiment disposée à me masturber », témoigne-t-elle.
Les manifestations physiologiques de cette période du mois peuvent aussi changer la perception ou les sensations de son propre corps. Pour certaines personnes, notamment certains hommes trans ou certaines personnes transmasculines, il sera alors plus difficile, voire impossible, de solliciter leur libido. « Je prends de la testostérone, mais j’ai encore des saignements, confie Aiden*. Ça arrive que la douleur me dérange dans ma journée et je trouve ça plus difficile de me sentir homme. Ça augmente ma dysphorie fois mille (la dysphorie de genre est la détresse ou l’inconfort liés à l’inadéquation entre ses parties génitales et son identité de genre ou l’expression de celle-ci, NDLR). C’est souvent le moment où je suis le moins à l’aise dans mon corps, donc je n’arrive pas à me toucher dans ces conditions. »
Le mois de mars étant celui de la sensibilisation à l’endométriose, Mme Séguin en profite pour ajouter que certaines personnes vivent avec de grandes douleurs qui ne seront pas soulagées par la masturbation. « Pour les personnes qui ont de l’endométriose dans la couche musculaire de l’utérus, avoir un orgasme peut causer de la douleur plutôt qu’un soulagement, malheureusement, affirme-t-elle. Et il faut qu’on en parle plus, c’est tellement méconnu encore, alors que c’est une maladie si répandue. »
*Afin de garder l’anonymat des personnes interrogées, les prénoms ont été modifiés.
[i] WOW Tech™ Europe GmbH. (2021). La Masturbation : L’Antidouleur Naturel ? Les Résultats de l’Étude Menstrubation. https://menstrubation.com/fr/
[ii] https://rqasf.qc.ca/campagnerouge/
[iii] https://nouvellesintimes.substack.com/
[iv] Nelson M. (2017). La masturbation aurait plusieurs effets bénéfiques pendant les menstruations. Vice. https://www.vice.com/fr/article/59zkbx/la-masturbation-aurait-plusieurs-effets-benefiques-pendant-les-menstruations?