La Saint-Patrick, célébrée ce 17 mars 2021, est fêtée à Montréal depuis le début du XIXesiècle. L’historien Simon Jolivet revient sur les traces d’une importante vague d’immigration irlandaise dans l’histoire du Québec.
Quartier Libre : Quelle est l’origine de cette vague d’immigration irlandaise au Québec au XIXesiècle ?
Simon Jolivet : Souvent, on pense que l’immigration irlandaise est arrivée pendant la famine, qui se situe entre 1845 et 1850, mais les Irlandais ont commencé à arriver après les guerres napoléoniennes, donc à partir de 1815.
Quand la famine a commencé, en 1845, ça a été l’hécatombe. La pomme de terre était la base de la nourriture, un homme pouvait en manger à peu près dix livres par jour. Le champignon de la pomme de terre a tué toute la culture. À l’époque, l’Irlande avait huit millions d’habitants, aujourd’hui, elle en compte près de cinq millions.
En 1847, la famine touchait l’Irlande depuis deux ans. Ceux qui ont eu les moyens de s’acheter un billet ont fait la traversée en bateau vers le Québec. Ce voyage durait entre six à huit semaines dans des conditions épouvantables, dans des navires marchands britanniques qui transportaient du bois canadien vers la Grande-Bretagne. Pour se faire plus d’argent, lors de leur retour au Canada, ces bateaux embarquaient cette foule irlandaise.
Cette année-là, 100 000 Irlandais sont arrivés, sachant qu’à cette époque, la ville de Québec était la plus peuplée et comptait seulement 35 000 habitants.
Q. L. : De nombreux Québécois sont-ils donc d’origine irlandaise aujourd’hui ?
S. J. :Au total, un million de personnes ont immigré entre 1830 et 1855, et 60 % d’entre elles étaient des Irlandais. Jusqu’au début du XXesiècle, ce groupe ethnoculturel était le deuxième plus grand après les Canadiens français. Les Irlandais étaient donc plus nombreux que les Anglais, les Écossais, les Autochtones ou les Juifs. Plus de 30 % des Québécois d’aujourd’hui peuvent retracer un ancêtre irlandais quelque part dans leur arbre généalogique.
Q. L. : Ces origines irlandaises ont-elles laissé des vestiges historiques au Québec ?
S. J. : À Montréal, des choses ont été construites par les ouvriers irlandais issus de cette immigration, comme le canal Lachine. Il a été creusé à la main par les ouvriers irlandais. Il y a plusieurs histoires autour de ça. Par exemple, pendant une grève des ouvriers, la cantine de Joe Beef a offert à ces derniers des galons de soupe. C’est encore un restaurant aujourd’hui. Joe Beef, Charles McKiernan de son vrai nom, était un irlandais proche des ouvriers. C’était un personnage important à Montréal.
L’immense majorité des Irlandais sont catholiques, ce que représentent plusieurs églises comme celle de Saint-Patrick à Québec (1833) ou la basilique de Saint-Patrick à Montréal (1847). Mais ce n’est pas parce que les deux communautés [les Irlandais et les Français canadiens] étaient catholiques qu’elles s’entendaient toujours entre elles. En créant leur communauté, les Irlandais ont décidé de garder la langue anglaise. Ils voulaient avoir leur église au sein de laquelle ils pouvaient prêcher dans leur langue, ce qui créait des conflits. C’est pour ça qu’il y a des endroits, comme à Pointe-Saint-Charles, où il y a une église catholique canadienne-française, et trente mètres plus loin, une église catholique irlandaise. On le voit aussi à Montréal, sur le boulevard René-Levesque. Il y a l’église catholique française Saint-Pierre-Apôtre, et juste de l’autre côté de la rue, l’église Sainte-Brigide-de-Kildare, qui était irlandaise catholique.
Q. L. : Que représente la Saint-Patrick, et depuis quand la célèbre-t-on au Québec ?
S. J. : La Saint-Patrick est une fête religieuse catholique, on la fêtait déjà à Montréal dans les années 1820. Saint-Patrick a christianisé l’Irlande, il est mort un 17 mars. C’est l’emblème national de l’Irlande, c’est notre Saint-Jean-Baptiste.
Ce qui est intéressant, c’est que la Société Saint-Patrick de Montréal est la première société nationale, fondée en 1834. Elle a même précédé la Société Saint-Jean-Baptiste. À l’époque, il y avait une société anglaise, avec la Société Saint-Georges, et une écossaise, avec la Société St. Andrew’s. Elles faisaient toutes des parades, mais la Saint-Patrick est la seule qui résiste depuis 200 ans. Il y a encore une communauté irlandaise assez forte aujourd’hui pour mobiliser la population autour de cette célébration à Montréal.