Depuis le début dela crise sanitaire, des monnaies solidaires ont été mises en circulation dans le but de soutenir l’économie locale. Différents projets pilotes ont vu le jour dans le monde, mais aussi à Montréal et à Québec. Ces monnaies pourraient être bénéfiques sur le long terme, selon Maxence Joseph Fontugne, économiste et cofondateur de la « monnaie locale complémentaire » de Québec.
Quartier Libre : Qu’est-ce qu’une « monnaie locale complémentaire » ?
Maxence Joseph Fontugne : C’est un mode de paiement alternatif qui vise à soutenir l’achat local et les commerces locaux. Elle prend généralement la forme de billets ou de monnaie électronique. Il n’y a pas grande différence avec l’argent normal, excepté que le choix des commerces oùon peut la dépenser est restreint. Le premier critère de sélection est que le commerce doit être local.
Q. L. : Quels sont ses objectifs ?
M. J. F. : Il y en a plusieurs. Certains objectifs sont économiques et d’autres sociaux. D’un point de vue économique, les retombées principales sont de favoriser l’achat et le commerce locaux.
D’un point de vue sociétal, la monnaie locale complémentaire permet de recréer des liens avec notre communauté et de nous sentir concernés par notre économie locale. Grâce à la monnaie solidaire, nous nous sentons rattachés à ces commerces locaux. Elle permet également de réduire le chômage. En donnant plus d’argent aux entreprises, l’un des résultats est d’embaucher du personnel pour pouvoir créer plus de richesses.
Q. L. : En quoi la monnaie solidaire se rapproche-t-elle du principe de la « monnaie hélicoptère » de Milton Friedman ?
M. J. F. : La politique de monnaie hélicoptère est une image utilisée par l’économiste américain Milton Friedman. Elle visait à mettre en place une politique de relance par la demande, en donnant de l’argent à tout le monde (NDLR, comme un hélicoptère qui lancerait des billets du ciel). Moi, j’ai un peu de difficulté avec cette expression pour parler de la monnaie locale complémentaire, notamment parce que Milton Friedman critiquait sa propre théorie, en disant que le seul résultat de la politique serait de créer de l’inflation.
Q. L. : La monnaie locale complémentaire ne créerait-elle pas également de l’inflation ?
M. J. F. : Non, parce que contrairement à la monnaie hélicoptère, l’utilisation de la monnaie solidaire est vraiment ciblée. Lorsque l’argent n’est pas ciblé, comme les chèques remis par l’administration Trump à chaque citoyen américain pendant la pandémie, ça mène beaucoup de gens vers les marchés financiers et ça fait gonfler les bulles spéculatives. La monnaie locale, elle, n’a pas d’autre choix que de rester sur le territoire.
Il faut se demander : « Où la crise a-t-elle un effet ? ». C’est à partir de là qu’il faut instaurer ce filet social. La PCU aussi avait une cible, on ciblait les gens ayant perdu leur emploi. La cible de la monnaie locale, c’est de mettre l’accent sur les commerces locaux et l’économie réelle. C’est là qu’on veut donner un coup de main.
Q. L. : Pendant la pandémie, la République tchèque a créé le corrent, une monnaie locale pour aider le pays à se relever de la crise. Comment une telle monnaie peut-elle concrètement aider une économie en difficulté ?
M. J. F. : L’une des raisons pour lesquelles c’est un très bon outil de relance, c’est que la monnaie locale a un taux de vélocité très intéressant. En économie, la vélocité est la vitesse à laquelle la monnaie circule. Des études démontrent que la monnaie locale circule plus vite que la monnaie nationale. Plus elle circule vite, plus il y a des biens et des services échangés dans cette économie, ce qui est souhaitable.
En règle générale, la vélocité diminue en temps de crise. Les gens préfèrent conserver leurs liquidités et épargner. La monnaie locale vient contrecarrer cette perte de vélocité.
Q. L. : La monnaie locale est-elle l’avenir ou plutôt un phénomène ponctuel pour se relever des crises ?
M. J. F. :Pour le moment, et on l’a vu pendant la crise, elle est perçue par les institutions comme un outil de relance immédiat. Mais, en fonction de ma compréhension, ce n’est pas qu’un outil de relance. Ça peut aussi être un outil de résilience, de solidarité et de société en tant que telle.
À Montréal, il y a l’Îlot, qui est en création. Le Laurentien, dans les Laurentides, est aussi en développement. En fait, sept projets sont en émergence.
Du côté de Québec, où la monnaie locale est déjà bien établie avec plus de 600 commerces participants, on essaie d’instaurer la monnaie à un second niveau. On veut encourager les commerçants eux-mêmes à faire appel à des fournisseurs locaux, et donc à utiliser la monnaie locale pour se tourner vers un fournisseur, qui, lui aussi, achète localement.