Réaménager l’espace urbain pour favoriser le jeu libre des enfants, « un jeu non surveillé, non interrompu et non structuré » : c’est le défi de Katherine Frohlich, professeure titulaire au Département de médecine sociale et préventive de l’UdeM. Ce projet novateur, qui questionne la place du citoyen dans l’espace urbain, verra le jour dans les rues montréalaises cette année.
Quartier Libre: Quels sont vos projets autour du jeu libre ?
Katherine Frohlich : Avec le Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM), on met en place un projet qui vise à développer des rues ludiques et des rues écoles. Ces deux tests visent à voir comment des petits changements dans la sphère urbaine peuvent changer les pratiques et les normes autour du jeu libre. L’idée est de lancer le projet cet été dans deux quartiers montréalais aux critères sociaux-économiques différents : Outremont et Villeray-Saint Michel-Parc-extension, pendant une période d’un an. Nous espérons le faire aux alentours des mois de mai ou juin 2021, mais nous n’avons pas encore déterminé la date exacte à cause du contexte actuel.
Q.L. : Que sont une rue école et une rue ludique ?
K.F.: L’idée de la rue-école est de fermer à la circulation automobile la portion de la rue autour de l’école pendant une période de 15 à 60 min, avant et après les classes. On veut encourager les parents à avoir confiance en leurs enfants, que ces derniers puissent marcher, trottiner, faire du vélo pour aller à l’école. On souhaite créer un espace convivial autour des écoles, qui est un endroit de socialisation.
Les rues ludiques sont des parcelles de rues résidentielles, fermées à la circulation automobile au minimum deux fois par semaine. On souhaite laisser la rue aux citoyens, pour qu’ils puissent l’utiliser à leur propre fin et favoriser le jeu libre des enfants. Le but est de repenser la place du citoyen dans la ville.
Q.L. : Quels sont les bienfaits du jeu libre dans le développement des enfants ?
K.F.: Le jeu libre a énormément de bienfaits en termes de développement mental, social et physique. Il permet aux enfants de résoudre des conflits, de prendre des risques, ils vont apprendre à utiliser leurs sens, leur corps, leur cognition pour évaluer ce qui est dangereux et ce qui ne l’est pas.
Les enfants qui jouent librement sont plus actifs que les enfants qui jouent au sein d’activités structurées. Ils veulent bouger naturellement, et s’ils ont la liberté de le faire, ils le feront. Être ensemble et jouer sans interruption est tout simplement plaisant pour eux.
Q.L.: Dans ces espaces de jeu libre, des jeux seront-ils disponibles pour les enfants ?
K.F.: Ce sont les riverains qui décideront. Personnellement, je préfèrerais que ce ne soit pas animé, car c’est déjà une forme d’intrusion dans le jeu des enfants. J’explique ma philosophie, mais on n’impose rien aux citoyens, on souhaite développer l’idée avec eux.
Q.L.: Comment susciter l’adhésion et la confiance des parents en créant des espaces de jeu libre ?
K.F.: Selon ma théorisation du jeu libre, les parents disparaîtraient, mais cela ne veut pas dire que les parents n’ont pas le droit d’être présents. La doctorante avec qui je travaille étudie la parentalité intensive. Elle essaie de comprendre pourquoi les parents surveillent autant leurs enfants et ce qui pourrait pallier cette peur dans notre intervention.
Notre hypothèse est qu’en créant une atmosphère sécuritaire et en redonnant l’espace aux riverains, les parents vont expérimenter une nouvelle sécurité et une nouvelle façon d’interagir avec leurs enfants dans leur environnement.
Q.L. : Comment ce projet se finance-t-il ?
K.F. : Une partie du budget vient du CEUM. Sinon, comme tout chercheur, j’ai fait des demandes de fonds. Mon travail est de concevoir et d’évaluer l’intervention. Le CEUM m’aide également à mobiliser les élus, les bureaucrates des deux municipalités et les citoyens.
On a commencé par demander l’approbation des élus de la ville, puis on a choisi nos arrondissements, avec qui l’on travaille pour choisir les sites et les écoles. Nous avons une très belle collaboration avec eux.
Q.L. : Y a-t-il eu des projets antérieurs d’espace de jeu libre à Montréal ?
K.F.: Il y a eu des projets pilotes dans d’autres villes du Canada, mais sur le court terme. Notre projet est le premier à voir le jour de façon régulière. C’est une première à Montréal et dans le monde. Les rues ludiques ont généralement lieu l’été et l’automne, on souhaiterait aussi voir ce qu’il se passe l’hiver.
Coordonnées de Katherine Frohlich :
katherine.frohlich@umontreal.ca