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L’histoire politique du couvre-feu

Le 6 janvier dernier, le gouvernement Legault a annoncé un couvre-feu applicable à toute la province dès 20 h. Le professeur au Département d’histoire de l’UdeM Carl Bouchard revient sur l’histoire du couvre-feu au Québec.

Quartier Libre : Historiquement, d’où vient le terme « couvre-feu » ?

Carl Bouchard : La pratique remonte à l’époque médiévale, en Occident, où on demandait aux habitants des villes d’éteindre leur feu le soir pour éviter les incendies. C’était vraiment l’idée de fermer le feu, pour éviter qu’il ne se propage, la nuit, dans les maisons faites de bois. Au départ, ce n’était pas pour des raisons militaires ou de sécurité lors de situations exceptionnelles, c’était une pratique normale.

Puis, avec l’avancement de la technologie et des matériaux ainsi qu’avec l’avènement de l’eau courante, les incendies sont devenus moins fréquents et le couvre-feu a disparu peu à peu. Il n’est réapparu que dans des moments exceptionnels où la sécurité publique était en cause, comme lors des guerres mondiales du 20esiècle. Dans la plupart des pays en guerre, les couvre-feux arrivent dès le début des combats, essentiellement pour se protéger des bombardements. On éteint les lumières d’une ville et on empêche ses habitants de sortir pour les protéger.

Q.L. : Le couvre-feu peut-il également servir à contrôler la population ?

C.B. : Oui, en période de guerre, moins les gens circulent et plus on est capable de les contrôler. Les couvre-feux permettent aussi de limiter les activités séditieuses, pendant la nuit, au moment où les contrôles sont plus difficiles.

Q.L. : Son utilisation pourrait-elle être différente dans les pays démocratiques et les régimes autoritaires ?

C.B. : Lorsqu’il y a un coup d’État, par exemple, et que les militaires sont au pouvoir, le couvre-feu sert à consolider l’état de fait en contrôlant la population. Dans un État autoritaire qui doute de sa légitimité ou qui craint pour sa stabilité, le couvre-feu prend une dimension de contrôle de la personne, de l’information, de la mobilité, pour, par exemple, éviter le trafic d’armes ou les rassemblements contre le régime. Ce qui est caractéristique de ces États, c’est que ces derniers savent que leur légitimité n’est pas gagnée, et donc le contrôle et la surveillance sont très importants.

Q.L. : Qu’en est-il au Québec ?

On est dans des mesures vraiment différentes ici. Dans le cas de la pandémie, l’objectif est de réduire les contacts sociaux, mais dans un contexte où, normalement, les contacts sociaux ne sont pas suspicieux.

Dans notre cas, le couvre-feu est vraiment exceptionnel et sert à contrer une menace. Il n’est pas décrété de bon gré, ce sont des mesures qu’on sait impopulaires, mais qui sont justifiées auprès de l’opinion publique, parce qu’il y a une raison valable.

Q.L. : A-t-on déjà connu des couvre-feux au Québec, avant celui-ci ?

C.B. : Oui. Au Québec, dans les années 1950-1960, on faisait des couvre-feux pour les adolescents qui n’avaient pas le doit de sortir après certaines heures. Ces mesures étaient là pour protéger les bonnes valeurs, il y avait donc une dimension morale. Il y a encore quelques années, le maire de Huntington, en Montérégie, avait interdit aux adolescents de sortir après 22 h pour éviter les troubles dans la ville.

Lors de la Deuxième Guerre mondiale, il y avait parfois des exercices « d’obscuration », qui n’étaient pas des couvre-feux, mais dont l’objectif était d’éteindre les lumières pour éviter que des aviateurs voient la ville.

Contrairement à ce que plusieurs personnes croient, il n’y a pas eu de couvre-feu au Québec lors de la Crise d’octobre en 1970. Par contre, il y a eu la Loi sur les mesures de guerre, qui avait pour caractéristique d’abolir momentanément l’habeas corpus, qui, normalement, empêche l’État d’emprisonner quelqu’un sans motif valable. Symboliquement, c’était extrêmement fort.

Et c’est un peu ce qu’a fait François Legault au moment de l’instauration du couvre-feu. Le gouvernement a reconnu qu’il n’y avait pas de données scientifiques qui permettaient de le justifier, que c’était plutôt pour marquer les esprits.

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