La scène est familière. Dans un café, j’arrive au lavabo des toilettes publiques et, là, je revis le supplice : un robinet trop court. Excédée, j’exécute alors une contorsion majestueuse pour me mouiller les mains complètement. Mais pourquoi dois-je me battre avec un objet mis à mon service ?
En fait, une partie du problème vient d’un outil mis à la disposition des designers : le Human Dimension and Interior Space, publié en 1979 par Julius Panero et Martin Zelnik. Ce guide contient des tables des dimensions standardisées pour les objets et les espaces d’intérieur. Il est fréquemment utilisé en ergonomie, mais aussi par les designers de divers horizons. Si l’intention initiale était noble, l’application l’est beaucoup moins.
Il est vrai qu’une table de standards peut être un outil fabuleux. Si tous les designers concevaient des objets en se basant sur leur propre physionomie, ce serait l’anarchie. Le danger réside dans l’usage que font certains designers de ces outils. Employés de manière absolue plutôt qu’à titre de guide adaptable, ils deviennent des dogmes nocifs. Comme dans de nombreux cas, les moyennes généralisent et nivellent.
Ainsi, le fameux robinet «petites mains» est le résultat peu reluisant de deux facteurs: assemblage mal calculé et standards mal utilisés. Parfois, l’épaisseur de la céramique empiète sur la longueur du robinet et, par conséquent, réduit l’espace pour les mains. L’assemblage est, dans bien des cas, source de bévues. Ensuite, comme d’autres produits circulant dans le milieu de la construction commerciale, il arrive que les designers calquent les dimensions de produits concurrents afin de concevoir les leurs. Et si le produit original était mal adapté aux besoins des utilisateurs, ses concurrents copieront ses défauts.
Dans les deux cas, la même erreur : l’absence de jugement! Cette terrible capacité permettant à l’Homme de faire de grandes choses… ou de trop petites. La pertinence et l’utilisation des tables de standards sont actuellement remises en question. Aussi, on voit récemment un mouvement, le Human Centered Design, s’épanouir dans les écoles de design. Ce dernier prône la conception selon l’utilisation d’un objet : le designer étudie le comportement de l’utilisateur afin de concevoir des produits adaptés. Nous assistons donc à un changement de cap : le designer est au service de l’utilisateur au lieu d’imposer ses dimensions. Après tout, un objet est-il réellement pertinent, si nul n’est apte à l’utiliser ?
Je ferme le robinet et relève la tête. Juste à côté du miroir, devant moi, une note : Se frotter les mains longuement… Quelqu’un doit bien se marrer quelque part !