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Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’UdeM (courtoisie Benoît Mâsse).

Les épidémiologistes, acteurs méconnus de la santé publique

Q.L. : Que pensez-vous de l’intérêt médiatique et populaire pour votre profession depuis la pandémie de la COVID-19 ? Comment pensez-vous qu’il va évoluer avec le temps ?

B.M. : J’ai travaillé 25 ans dans l’ombre, sans jamais qu’un média ne me parle, et du jour au lendemain, je reçois 8 appels par jour pour des entrevues. Lorsque la pandémie va passer, la discussion portera davantage sur la façon de s’outiller pour être en mesure de gérer les prochains virus. Les conditions qui ont permis au virus de la COVID-19 de sauter de l’animal à l’homme sont encore présentes, alors nous aurons d’autres pandémies. C’est ce qu’on disait déjà aux gouvernements avant la crise, mais puisque les gens vont avoir fraichement en mémoire ce qui est arrivé, on risque d’avoir un peu plus d’écoute.

Q.L. : Vous pratiquez ce métier depuis plus de 25 ans. Comment s’est-il transformé depuis vos débuts ?

B.M. : Je dirais que nos outils de communication sont vraiment plus efficaces. Quand j’ai commencé, nous remplissions des formulaires en Afrique et nous les envoyions littéralement par la poste à l’Université Laval. Même les appels téléphoniques coûtaient extrêmement cher. Aujourd’hui, nous pouvons collecter des données dans des régions rurales en Afrique du Sud et les colliger très rapidement. Mais en fin de compte, l’approche que nous utilisons en épidémiologie n’a pas vraiment changé.

Q.L. : Comment devrions-nous nous préparer pour mieux affronter les prochaines épidémies ?

B.M. : J’aime le Ted Talk que Bill Gates a fait il y a 4-5 ans, qui semblait visionnaire lorsqu’on le regarde aujourd’hui. Il faisait le parallèle avec l’armée, où l’on dépense des milliards pour être prêt «?au cas où?». On s’entraîne, on se pratique, on se prépare constamment pour être prêt si jamais quelque chose arrive. C’est la même chose avec une épidémie, ce n’est pas lorsque le virus arrive qu’on a le temps de développer un vaccin. On doit le développer pour être prêt à réagir rapidement lorsque le virus arrive.

 

Quartier Libre : Qu’est-ce que l’épidémiologie et quel est son rôle à l’intérieur de la recherche médicale ?

B.M. : Le médecin traite un patient à la fois, l’épidémiologiste traite les populations. Il regarde ce qui se passe dans la population en termes de maladies, leur évolution dans le temps, puis il fait des recommandations et des interventions au niveau de la population. Il observe les causes des maladies et surtout les facteurs qui peuvent être modifiés. Par exemple, les épidémiologistes peuvent tenter de combattre le cancer du poumon avec des campagnes de prévention pour diminuer l’usage du tabac ou promouvoir de meilleures habitudes de vie pour combattre l’obésité.

 

Q.L. : Quels outils utilisez-vous pour déterminer les causes des maladies ?

B.M. : Typiquement, nous faisons des études de cohortes. Par exemple, pour étudier le cancer du poumon, nous allons prendre un groupe de personnes qui ont eu un cancer du poumon et un groupe similaire qui n’en a pas eu. Nous allons remonter en arrière pour essayer d’identifier les différences entre les deux groupes. Cela nous permet, dans un premier temps, d’identifier ce qui est associé aux maladies. Ensuite, nous faisons d’autres études spécifiquement conçues pour déterminer que A cause B. Finalement, nous allons penser à des modèles d’interventions qui agissent sur ces causes.

 

Q.L. : Arrivez-vous souvent à déterminer des liens de causalité ?

B.M. : Quand les études sont bien faites, nous y arrivons. Ce n’est pas comme les études cliniques, comme celles que nous faisons pour déterminer qu’un vaccin contre la COVID-19 fonctionne, pour lesquelles nous pouvons utiliser des placebos et de la randomisation. Nous devons surtout nous limiter à des études d’observation, avec de grands échantillons et plusieurs groupes qui répliquent les observations de façon indépendante. Nous devons être patients, puisque ces études prennent plusieurs années. Nos interventions aussi ne se font pas instantanément, car nous cherchons à changer des comportements. Cela se compte en années avant d’avoir un impact.

Q.L. : Qui finance la recherche en épidémiologie ?

B.M. : Les études coûtent typiquement de 250?000 à 1,5 million de dollars. Les grandes études portant sur plusieurs années peuvent coûter plusieurs millions. C’est surtout le gouvernement fédéral, à travers les instituts de recherches en santé du Canada, qui finance ça. Moi, j’ai aussi des subventions de la fondation Bill & Melinda Gates, qui est très impliquée dans les projets en Afrique. C’est beaucoup moins le pharmaceutique, parce que nos interventions sont rarement médicales.

 

Q.L. : Quelle est la place accordée au travail de terrain dans vos recherches ?

B.M. : Dans mon cas, j’ai passé énormément de temps sur le terrain. J’ai travaillé sur le virus Ebola, dont les études se font au Congo ou en Guinée, et sur le VIH, qui m’a amené à aller souvent en Afrique du Sud. On se déplace pour faire des formations ou pour contribuer à monter des études. On va dans des milieux qui ont énormément besoin de ressources et on travaille à rendre les chercheurs locaux autonomes. C’est très valorisant, et on développe des amitiés au cours des années.

 

Q.L. : Pour terminer, auriez-vous un conseil pour un étudiant qui pense à s’inscrire à la maîtrise en épidémiologie ?

B.M. : C’est bon de développer un certain niveau de confort avec les méthodes quantitatives de base. C’est l’une des faiblesses de la plupart des étudiants. Pour ceux qui arrivent déjà avec un backgrounden maths, il faut être conscient que c’est un domaine où il est nécessaire de communiquer. Ils doivent savoir bien écrire et pas seulement résoudre des problèmes. Ce sont les deux compétences qu’il faut avoir. Le reste, ça s’apprend.

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