Culture

Crédit photo : Marc Boulanger

Le devoir de mémoire à travers les mots

Pour la professeure d’histoire à l’Université de Moncton et spécialiste du génocide arménien, Joceline Chabot, la littérature révèle des histoires personnelles des victimes, ce qui permet de créer des liens intimes avec les lecteurs. « Tout ce qui relève de la mémoire ou du récit de la narration apporte un élément supplémentaire sur la compréhension de ces phénomènes, déclare-t-elle. Je crois que l’histoire est essentielle, mais je pense qu’elle a aussi des limites. » Elle explique que grâce à ces liens, les jeunes lecteurs sont plus réceptifs aux enjeux des phénomènes de génocide et font davantage preuve d’ouverture d’esprit pour les comprendre.

La doctorante en éducation à l’Université de Sherbrooke Audrey Bélanger soutient aussi cette idée. « En classe d’histoire, les élèves sont invités à comprendre et à interpréter l’histoire d’une façon plus objective que subjective, détaille-t-elle. Le roman historique humanise l’étude de l’histoire. Il permet aux élèves de vivre, de ressentir le passé, puis de mieux le comprendre et l’interpréter. »

Transmettre l’expérience vécue

19Mme Chabot souligne que les témoignages des personnes qui ont vécu ces tragédies transmettent efficacement les connaissances de ces évènements. « Pour le génocide arménien, le livre de Hayg Toroyan et Zabel Essayan L’Agonie d’un peuple est très révélateur, recommande-t-elle. Bien sûr, c’est une expérience subjective, mais personne d’autre que le protagoniste qui a vécu le système concentrationnaire ne peut nous la livrer. »

Pour Mme Bélanger, le roman L’enfant de Noé d’Éric-Emmanuelle Schmitt est une œuvre efficace pour véhiculer l’importance de préserver la mémoire collective de l’Holocauste au niveau scolaire. « Ce roman historique présente plusieurs intérêts pour développer les compétences de lecture des élèves et leur pensée historienne », estime-t-elle. Elle trouve ce roman avantageux en raison de son aspect court et du défi de compréhension et d’interprétation qu’il soulève pour des lecteurs adolescents. Il aborde aussi les mesures anti-juives mises en place avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale ainsi que la vie après l’Holocauste.

Comment expliquer le génocide aux jeunes ?

Le premier défi pédagogique, pour Mme Chabot, est de bien définir ce qu’on entend par génocide auprès de ses étudiants. « On19A a une définition qui relève du juridique, adoptée par l’ONU en 1948 [voir encadré], mais elle pose certains problèmes, développe-t-elle. Des spécialistes ne sont pas d’accord avec cette définition du génocide. Il faut avoir une définition pertinente pour les sciences humaines et les sciences sociales.» Selon elle, un deuxième défi est de bien contextualiser chacun des phénomènes génocidaires. « Personnellement, je trouve que la comparaison de ces phénomènes est éclairante, elle nous permet de préciser les caractéristiques propres de chaque génocide », affirme-t-elle.

Mme Bélanger, qui enseigne auprès d’adolescents, estime que le manque de temps pour un enseignement adéquat, la disponibilité du matériel pédagogique, la charge émotive du sujet, l’aspect multiculturel de certaines classes et le manque d’intérêt des élèves constituent d’importants obstacles.

La littérature est alors un moyen efficace pour pallier ces difficultés. « Cependant, même si l’émotion suscitée par la rencontre avec un personnage romanesque pourrait agir comme point de départ pour amener les élèves à adopter une perspective historique, le roman est encore peu utilisé dans les classes d’histoire », précise la doctorante. Selon elle, le manuel scolaire, généralement peu apprécié des élèves, est encore l’outil de prédilection des enseignants.

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