Opinions

Photo: Tiffany Hamelin

Lettre ouverte

Considérant que la réforme du programme expérience Québec vise spécifiquement les programmes de sciences humaines, incluant la philosophie, la sociologie, l’histoire, la science politique et la littérature.

Nous sommes préoccupées par la réponse de la FAÉCUM à la réforme du programme expérience Québec (PEQ) annoncée par le gouvernement. La réforme était, et est toujours justifiée aux yeux du ministre et du premier ministre sur la base de critères essentiellement économiques. On prétend vouloir « arrimer » les besoins du marché avec les diplômes accessibles au PEQ. De manière tout à fait légitime, la FAÉCUM avait pris position contre la réforme au moment de son annonce. Nous apprécions, par ailleurs, la réactivité de la fédération suite à l’annonce du ministre. Il est important de comprendre que ce que nous critiquons aujourd’hui, ce n’est pas le fait de prendre position, mais la manière dont la FAÉCUM a fait le choix de défendre ses membres.

En effet, dans les différentes publications et lettres ouvertes signées par la FAÉCUM, on semblait défendre une vision de l’éducation similaire à celle du ministre. On mettait de l’avant l’idée que la liste n’était pas assez exhaustive, puisque des programmes qui ne s’y trouvent pas sont aussi rentables économiquement. Même si on prétend que l’ensemble des programmes devraient s’y trouver, on défend tout de même une vision purement utilitaire du rôle de l’éducation. En ce sens, parler de « l’immigrant idéal »1, ou de « limiter les besoins du marché de l’emploi à une simple liste »2 (en supposant une prépondérance des besoins du marché de l’emploi) nous paraît hautement problématique.

Bref, le problème n’est pas l’exhaustivité de la liste, le problème est, d’une part, l’existence même de la liste, mais aussi, et surtout, sa justification qui laisse croire en une apparente nécessité de l’arrimage entre « éducation » et « marché de l’emploi ». En voulant parler la langue du ministre, la FAÉCUM cautionne une conception de l’éducation qui doit se soumettre aux impératifs du marché. Si cette stratégie pourrait mener à des gains à court terme, la légitimation de ce genre de discours ne peut être que nuisible sur le long terme pour le mouvement étudiant.

D’un point de vue conceptuel, cette vision de l’éducation est à tout le moins contestable. Néanmoins, ce qui semble poser encore plus problème c’est son incohérence avec le cahier de position de la fédération. La position 2143 rappelle le rôle global de l’université comme outil de transmission de la culture et de développement de la mémoire collective, mais ce sont les positions 2084, 12545 et spécialement la position 4686 qui rappellent la nécessité d’une stricte indépendance de l’institution par rapport aux demandes du marché.

Suite au tollé soulevé dans les dernières semaines, et après avoir annoncé la suspension de la réforme, le ministre, Simon Jolin-Barrette, ainsi que le premier ministre François Legault ont annoncé leur intention d’aller de l’avant suivant des consultations avec les acteurs du milieu. Dans le cadre de ces prochaines négociations, nous demandons à la FAÉCUM de respecter ses positions en défendant une vision de l’éducation qui n’est pas strictement utilitaire. Il est impératif de remettre en question la pertinence même de la réforme, non pas d’un point de vue financier, mais bien du point de vue de la liberté, égalité et de la pleine valorisation des programmes universitaires et des étudiant.es qui les fréquentent.  

Lettre ouverte signée par  

L’Association des étudiants et étudiantes en philosophie de l’Université de Montréal (ADÉPUM),

L’Association des étudiants-diplômés du Département d’histoire de l’Université de Montréal (AÉDDHUM),

L’Association des étudiants et étudiantes en science politique et philosophie de l’Université de Montréal (AESPEP),

Le Regroupement des étudiantes et les étudiants de sociologie de l’Université de Montréal (RÉÉSUM),

L’Association étudiante de littératures et langues modernes de l’Université de Montréal (AELLMUM) et

L’Association étudiante d’histoire de l’Université de Montréal (AÉHUM).

1 et 2. Desforges, Sandrine, et Guy Breton. « Le Québec n’a pas les moyens de se priver de tout ce talent ». Le Devoir, 7 novembre 2019. https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/566469/le-quebec-n-a-pas-les-moyens-de-se-priver-de-tout-ce-talent

3. Que l’Université soit incitée à jouer un rôle de transmission de la culture de façon à améliorer le rayonnement culturel de la collectivité environnante, à préserver et développer la mémoire collective, et à constituer un patrimoine culturel important pour la société.

4. Que les programmes d’études des universités ne soient pas dictés par les entreprises.

5. Que l’offre de formation universitaire ne soit pas constituée de manière à répondre uniquement aux besoins du marché de l’emploi.

6. Que le milieu de la recherche universitaire conserve des liens avec le secteur privé, en autant que soient respectées la mission et l’autonomie de l’université et que l’indépendance de celle-ci soit préservée.

 

Cette lettre n’a été aucunement modifiée par l’équipe de rédaction Quartier Libre.

Partager cet article