«Aurez-vous commerce avec des hommes, abandonnant les femmes que Dieu a créées pour vous ? En vérité vous êtes un peuple criminel»1. «Voici mes filles, il serait moins impur d’abuser d’elles.»2 Voici comment Loth, patriarche du Coran, intervient pour protéger les deux anges venus lui rendre visite alors qu’ils sont menacés de viol par les habitants de Sodome. Il s’agit de l’une des huit évocations du Coran quant à la destruction de Sodome et Gomorrhe, connues pour pratiquer l’acte sexuel entre hommes.
Le Coran condamne à plusieurs reprises l’homosexualité, comme le Vatican d’ailleurs, considérant cette pratique comme un péché. Les pays dont l’État repose sur la religion ne sont généralement pas friands de leurs communautés gaies.
Être, dire et devenir
Si l’homosexualité est illégale et passible de la peine de mort dans plusieurs pays, elle ne l’est pas en tant que telle en Jordanie. «Ici, ce n’est pas illégal ou punissable comme dans d’autres pays arabes, et on s’en tient à la décence publique. Tout comme on n’embrasse pas sa copine dans la rue ici, je n’embrasserais pas mon copain non plus.» Wassim* a 23 ans. Il est originaire d’Amman, la capitale jordanienne, et a fait ses études universitaires à Montréal.
Même si ses parents ne sont pas au courant de son orientation sexuelle, Wassim affirme qu’il fait mieux vivre en Jordanie en tant qu’homosexuel qu’ailleurs au Moyen-Orient : «Je pense que les homosexuels jordaniens se sentent comme n’importe quel autre homosexuel ailleurs dans le monde», affirme-t-il en se comparant à ceux qu’il a rencontrés durant ses études outre-Atlantique.
Mais tous les pays musulmans ne sont pas aussi tolérants. L’Arabie Saoudite, l’Égypte et le Soudan ont notamment commis des actes de répression contre leurs communautés GLBT. On y note l’augmentation des poursuites judiciaires pour motif d’homosexualité, comme l’arrestation fort médiatisée en 2001 de 52 Égyptiens arrêtés dans une boîte de nuit ou la décapitation de trois Saoudiens pour homosexualité en 2002.
Pourtant, même si Wassim affirme qu’il a le droit de pouvoir être lui-même en Jordanie, il précise que son orientation sexuelle l’a clairement éloigné de sa religion. « De façon réaliste, il n’existe pas d’avenir pour les homosexuels au sein de l’Islam, nous sommes méprisés pour être nés tels que nous sommes. Ce que je comprends de ma religion, c’est qu’elle doit évoluer. »
Sortie de secours
« Je pense qu’ils devraient être poussés en bas d’une colline, ou quelque chose comme ça. On ne peut pas appeler ça un frère musulman mec ! Ils salissent l’image de l’Islam. » Ces propos entendus dans le film de Parvez Sharma, A Jihad for Love, qui traite de l’homosexualité au sein de l’Islam, sont parfois le reflet de la pensée commune dans les des pays musulmans.
Massoud, 23 ans, habite Amman. Il est catholique et son parcours est semblable à celui de Wassim. Sa religion diffère peut-être, mais ses angoisses sont les mêmes : «J’ai donné un faux nom à des Arabes rencontrés dans une soirée organisée par des homosexuels américains. La présence d’étrangers et le fait de pouvoir être pris pour l’un d’eux me rassuraient. Je pouvais simplement me faufiler dans le tas en espérant qu’on ne me demande pas d’où je viens. » La plupart des invités étaient clairement gais, et Massoud avoue qu’il n’aurait jamais pensé voir ce genre de rassemblement se produire un jour à Amman. «Le fait qu’il y ait beaucoup d’étrangers changeait la donne: ils possèdent une liberté sociale de ne pas être nés ici et n’ont donc pas peur de se faire attraper. Ils peuvent avoir des soirées gaies sans y penser deux fois. » Se « faire attraper » reste une crainte c o n s t a n t e , m ê m e e n Jordanie, et ceux qui ont la chance d’avoir les moyens financiers suffisants pour partir n’hésitent pas à s’envoler ailleurs.
Il n’existe toujours pas, ou très peu, de ressources venant en aide à la communauté gaie et lesbienne de Jordanie. Certains endroits d’Amman sont connus pour être des lieux de rassemblement gais, comme le restaurant Books@Cafe, ou les rues entourant Rainbow Street dans le quartier de Jabal.
Et la situation ne semble pas être sur le point de s’améliorer. En 2008, le magazine français gai Têtu citait Saad Manasir, gouverneur d’Amman, qui annonçait une campagne contre la « propagation de la dépravation ». Massoud affirme que ceux qui décident de s’ouvrir à leurs proches font face à deux choix : « Si tu as les moyens, tu quittes le pays en espérant que la vie soit meilleure ailleurs. Sinon, tu termines dans une petite communauté hors-norme de Jordaniens “indépendants” en vivant ta vie coincée avec des gens comme toi, qui cherchent et attendent une issue de secours.»
* Les noms ont été changés afin de préserver la confidentialité des personnes interrogées.
1. Coran, 26-165 2. Coran, 11-80
Pour plus d’informations sur le sujet, lisez «Sodomie et masculinité chez les juristes musulmans du IXe au XIe siècle» de Mohammed Mezziane et regardez le film A Jihad for Love de Parvez Sharma.