L’étudiante au baccalauréat en musiques numériques Marie Anne Bérard a souhaité apprendre le portugais pour renouer avec ses racines. Mais cette langue n’est pas enseignée à Vaudreuil-Dorion, où elle a grandi. Elle s’est alors tournée vers l’application Duolingo pour s’y initier. « Je pouvais pratiquer tous les jours, améliorer mon vocabulaire, faire des tests, voir mon évolution, énumère-t-elle. C’était vraiment motivant ! »
Ces propos trouvent écho chez l’étudiante au baccalauréat en sciences biomédicales Tinna Nguon, qui a opté pour la flexibilité d’un apprentissage sur plateforme numérique en raison de son emploi du temps chargé. « J’ai adoré mon expérience, puisqu’elle m’a permis de communiquer avec les gens aisément lorsque j’ai voyagé au Mexique et au Japon, raconte-t-elle. C’est vraiment pour briser la barrière linguistique et ainsi pouvoir faire des connexions avec les habitants. »
Pour franchir cette barrière, il faut d’abord et avant tout savoir reconnaître les mots d’une langue étrangère, selon la professeure au Département de didactique de l’UdeM, Patricia Lamarre. « Si je suis au Mexique et que je reconnais fiesta [fête] et cerveza [bière] dans un barrage de son, ce sont juste deux mots, mais ils me permettent de deviner ce qui va se passer », illustre-t-elle. Mme Lamarre précise que les applications sont un bon moyen de mettre le grappin sur une nouvelle langue avant d’en apprendre la grammaire, puisqu’elles se concentrent sur l’apprentissage du vocabulaire.
Sur le bout des doigts
Pour le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux socioculturels du numérique en éducation, Simon Collin, une des forces des applications de langue est leur accessibilité. « On peut apprendre en mobilité, notamment dans les situations de transport en commun, soulève-t-il. Ça ouvre des espaces d’apprentissage en dehors des cours traditionnels. »
Celui qui est également directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante de l’Université du Québec estime que les applications, comme Duolingo et Babel, sont des outils ludiques pouvant être utilisés en complément d’un cours de langue ou pour des situations ponctuelles, comme un voyage. Mais il fait valoir que cette méthode a des limites.
Marie Anne et Tinna ont fini par se heurter à celles-ci, en particulier au manque d’interactions orales. « En te fiant à une application, tu ne sais pas si la prononciation des mots est exacte ou pas », soulève Tinna.
C’est également ce que relève M. Collin. « La production et l’intéraction orales sont souvent les parents pauvres de ces applications, acquiesce-t-il. C’est difficile de prendre ça en compte au niveau de leur développement technique. » Le professeur est cependant optimiste : selon lui, l’évolution de la technologie (voir encadré) laisse présager de meilleurs résultats dans l’avenir.
Pour l’instant, les logiciels mobiles demeurent des compagnons de langue imparfaits. « Ils ne s’intéressent que peu à l’usage en contexte de la langue », regrette-t-il, donnant en exemple que le niveau n’est pas le même lors d’une entrevue d’embauche que dans la vie de tous les jours.
Tous les chemins mènent à Rome
Les limites des applications ne surprennent pas Mme Lamarre, mais elles ne la rebutent pas non plus. « Apprendre une langue, c’est un processus qui prend une vie », soulève la professeure. Elle explique que même en classe, les enseignants amènent les étudiants un peu plus loin dans leur socialisation langagière, mais que l’apprentissage n’est jamais réellement fini.
« Tous les chemins mènent à Rome, lance-t-elle simplement. J’ai eu des étudiants qui ont appris l’anglais en regardant des dessins animés, d’autres en écoutant de la musique. » L’essentiel est de trouver des méthodes qui motivent l’apprenant et qui répondent à ses besoins, selon la professeure. Elle remarque cependant que différents types d’apprentissage entraînent différentes sous-compétences. « J’ai appris l’espagnol en la calle [dans la rue], raconte Mme Lamarre. Je ne l’ai jamais étudié et je suis rendue à un niveau intermédiaire, mais j’aurais honte d’écrire un texte. »