Volume 26

Une gouvernance bicéphale

Le 14 janvier, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) est intervenue au sein de la nation Wet’suwet’en afin de déloger plusieurs dizaines d’opposants à l’expansion d’un projet de pipeline de l’entreprise Coastal GasLink. Ce pipeline doit traverser le territoire traditionnel de la nation pour atteindre la côte et alimenter les marchés d’outre-mer. Bien que les 20 conseils de bande de la nation aient signé l’accord pour sa construction, les chefs traditionnels (voir encadré « La gouvernance autochtone »), qui ne sont pas reconnus par l’État canadien, s’y opposent catégoriquement.

À cette problématique, le professeur à la Faculté de droit de l’UdeM Jean Leclair, qui s’intéresse de près aux questions de droit autochtone, apporte des réponses.

Jean Leclair, professeur à la Faculté de droit de l’UdeM. Crédit photo : Courtoisie Jean Leclair.
Jean Leclair, professeur à la
Faculté de droit de l’UdeM. Crédit photo : Courtoisie Jean Leclair.

Quartier Libre : Quels sont les avantages de signer un tel accord pour les conseils de bande ?

Jean Leclair : Le secteur des ressources naturelles est celui qui offre les emplois les plus payants et les plus spécialisés pour les populations autochtones. C’est même le secteur dans lequel elles investissent le plus. Ces populations ont parfois jusqu’à 95 % de chômage. Ce type d’opportunités leurs permet donc de se sortir de la misère. Soit, nous, en tant que Blancs, on se dit que tous les Autochtones doivent vivre nus dans la forêt avec leurs arcs, soit on accepte que les Autochtones sont des êtres humains qui sont dans la même situation complexe que nous, et alors on se doit de leur donner la capacité de faire leurs propres choix.

Q.L. : L’intervention de la GRC sur les terres wet’suwet’en était-elle légale ?

J.L. : La question qui se pose, ce n’est pas la légalité, mais la légitimité. Est-ce légitime d’intervenir sans avoir consulté toute la population ? Juridiquement, les terres traditionnelles wet’suwet’en appartiennent au Canada et non à la nation. La GRC a donc autorité pour intervenir. Dans la vision autochtone, l’homme appartient à la terre et non l’inverse, mais avec la signature des traités et la délimitation des réserves, les nations essaient de protéger ce qu’elles peuvent.

Q.L. : Quelle est la différence entre conseils de bande et chefs traditionnels ?

J.L. : L’État canadien ne reconnaît que l’autorité des conseils de bande et ne consulte donc pas les traditionalistes. Les chefs traditionnels des Wet’suwet’en reconnaissent parfois le pouvoir des conseils de bande, mais seulement au sein de la réserve. En ce qui concerne les territoires traditionnels, qui s’étendent bien au-delà de la réserve, ils se considèrent comme les seuls aptes à prendre les décisions.

Q.L. : Quels sont les recours à disposition des Autochtones pour contrer ce type de projets ?

J.L. : Les traditionalistes pourraient contester l’autorisation des conseils de bande en allant en cour et en se fondant sur la jurisprudence en disant : « Nous, comme Wet’suwet’en traditionalistes, on invoque le fait qu’on a une apparence de titre ancestral. Autrement dit, notre occupation antérieure justifie la reconnaissance de droits. Donc on a le droit d’être consultés au même titre que les conseils de bande ».

Q.L. : Et pensez-vous que cela puisse se faire ?

J.L. : Les traditionalistes ne reconnaissent souvent pas les institutions canadiennes et encore moins les tribunaux. J’ai donc tendance à croire que le gouvernement va se retrancher derrière les conseils de bande, vu qu’il ne reconnaît que leur autorité. C’est un peu ce que le premier ministre a dit. Ce serait très curieux que le gouvernement abandonne. Mais l’opinion internationale est tellement importante aujourd’hui que le gouvernement peut aussi prendre la décision d’aller consulter les traditionalistes. C’est une possibilité.

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