Quartier Libre : Qu’est-ce que le ti-pop ?
Laurence Côté-Fournier : Le mot est apparu dans les années 1960. « Ti » réfère à la façon très québécoise de dire « petit », et « pop » à la culture populaire. Le ti-pop revient à jouer avec ces références et à présenter tout ce patrimoine populaire en objets esthétiques. C’est comme un jeu ironique et sarcastique avec des objets populaires détournés. Le ti-pop est ce regard sur le passé, de l’enfance, de la culture catholique très forte, plus largement ce qui définit la culture populaire.
Q.L. : Comment est-il né ?
L. C.-F. : En 1966 l’intellectuel Pierre Maher, dans la revue culturelle et politique Parti Pris, présente alors le ti-pop comme inspiré de la culture québécoise quétaine (kitsch) et un peu vieillotte. Il prend racine dans la vieille culture canadienne française, soit un mélange culturel rural et américain, mais également avec des éléments religieux un peu naïfs.
Dans les années 1960, la mort du premier ministre du Québec Maurice Duplessis instaure un vent de changement. C’était la fin de la « grande noirceur », entre l’après-guerre et les années 1960, durant laquelle le pouvoir clérical était très fort, et le début de la Révolution tranquille laissant place à une période de changements politiques et sociaux. Les intellectuels de Parti Pris essaient de changer les choses, de révolutionner la société.
Q.L. : Qui sont les artistes qui ont incarné le ti-pop ?
L. C.-F. : Robert Charlebois, en musique, peut incarner cet esprit-là avec son utilisation du jouale* et une recherche esthétique radicale pour l’époque. En littérature, la pièce de théâtre de Michel Tremblay, Les Belles Sœurs, qui est un portrait de la classe ouvrière, illustre ce mouvement.
Q.L. : Le ti-pop est-il encore d’actualité ?
L. C.-F. : Forcément, ce n’est pas la même culture que pendant la Révolution tranquille, mais il y a une nostalgie pour les objets laids, les objets du patrimoine. On a perdu l’aspect subversif d’antan, mais la fascination pour le kitsch reste. On peut en voir des traces et des tendances, mais c’est un mouvement qui appartient au passé. À mon sens, c’est pour lutter contre une uniformisation des objets un peu partout, notamment dans les espaces publics. Par exemple, l’artiste visuel Marc-Antoine K. Phaneuf récupère toutes sortes d’objets négligés dans des garages et leur donne une valeur esthétique. En littérature, François Blais présente toujours des personnages un peu paumés, des aventures que l’on peut rattacher au ti-pop. On peut aussi affilier le travail au cinéma de Stéphane Lafleur au mouvement, avec des décors, des lieux qui n’ont pas une grande valeur esthétique, mais qui, par la nostalgie, deviennent singuliers, comme les motels.
Q.L. : Pourquoi organiser cet évènement ?
L. C.-F. : Le Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ) organise plusieurs fois par an des ateliers d’archives pour mettre en valeur le Centre Gaston Miron. Il vise à inciter les chercheurs à utiliser ces documents pour les mettre à disposition du plus grand nombre.
* Dialecte dérivé du français québécois dans la région de Montréal. Il est issu de la culture populaire urbaine.