«Je raconte une histoire très ouverte, une espèce d’image narrative, déclare l’étudiant en maîtrise de composition et création sonore à l’UdeM Pierre-Luc Senécal. On pourrait s’imaginer être dans Berlin sous les bombes. » Le finissant a présenté le 30 novembre sa pièce électroacoustique immersive, où le public présent au Conservatoire d’art dramatique de Montréal s’est retrouvé plongé au cœur de la Seconde Guerre mondiale grâce à un système de diffusion sonore élaboré. « C’est très abstrait, très ouvert, ça appelle beaucoup à l’imaginaire », poursuit-il.
Il n’y a rien à voir. Les seules choses à voir sont dans ta tête ! » Pierre Luc Senécal Étudiant en composition et création sonore
Le directeur artistique de Code d’accès, organisateur de la soirée, Simon Chioini, indique que la musique acousmatique est une branche du courant électro-acoustique. « L’électroacoustique, c’est littéralement “réaliser à partir de moyens électroniques”, note-il. Le terme acousmatique signifie quant à lui “que l’on entend sans savoir d’où ça vient”. En musique, il est utilisé pour désigner une situation d’écoute où l’on ne voit pas la source qui produit le son. »
Dans le noir
Simon ajoute que l’acousmatique, en plus de présenter une structure musicale totalement différente, s’affranchit de toute projection lumineuse ou support vidéo. « On ne retrouve pas nécessairement de rythme ou de partition, comme ce qu’on entend habituellement à la radio, explique l’ancien étudiant en composition électroacoustique. On ne porte attention qu’aux sons, qui sont diffusés à 360 degrés autour du public par plusieurs sources de haut-parleurs. »
Cette expérience immersive se déroule la plupart du temps dans le noir complet. « Parce qu’il n’y a rien à voir, s’exclame Pierre-Luc. Les seules choses à voir sont dans ta tête ! » Pour l’artiste, allumer les lumières serait contre-productif et pourrait nuire à l’expérience. « Ce serait comme aller au cinéma pour fermer les yeux », poursuit-il.
Des centaines d’heures
L’étudiant a dû s’appliquer pendant des nombreuses séances de mixage en studio pour réaliser sa pièce. « C’est très différent de composer pour la musique acousmatique, témoigne-t-il. Ce n’est pas plus difficile à faire qu’un autre style et pas forcément plus long, bien que ça reste moins accessible que la musique pop, par exemple. »
Pierre-Luc explique enregistrer des sons depuis le mois de janvier. Après les avoir confectionnés pendant plusieurs mois, il lui a fallu tout le mois de novembre pour amalgamer l’ensemble. L’étudiant précise que des centaines d’heures ont été nécessaires pour la totalité du processus de production. Soixante ont été uniquement consacrées à la composition finale de sa pièce d’une vingtaine de minutes.
Le son et le sens
Afin de raconter son histoire, l’étudiant diffuse un enregistrement composé d’un enchaînement de sons variés. « On peut utiliser tous les sons en acousmatique, c’est aussi vaste que ça, affirme-t-il. Dans ma composition par exemple, on peut retrouver des enregistrements de musique classique, mais aussi des sons plus graves de synthétiseurs. » Il note que cet éventail de possibilités en matière de création est une des caractéristiques qui distingue le genre acousmatique du reste de la musique dite « traditionnelle ».
Le compositeur souligne à ce propos que dans ce courant musical, le sens accordé à l’élément sonore a autant d’importance que le son lui-même. « Je suis parti avec des prémices historiques narratives, poursuit-il. Des images précises m’ont inspiré, et je les évoque directement. Par exemple, les enregistrements de corbeaux que j’ai intégrés sont une référence à un film sur la Seconde Guerre mondiale que j’avais vu en amont. »
Dans son projet, Pierre-Luc dit s’être concentré sur des éléments disposant à la fois de valeurs abstraites et figuratives. « Chaque partie du concert a une propriété sémantique et plastique qui le distingue du reste, observe-t-il. Chaque choix s’explique. » L’étudiant rappelle toutefois que le sens seul ne suffit pas et que ces éléments doivent aussi s’intégrer dans la pièce de façon musicale.
Un style qui résonne
Simon Chioini admet que la musique acousmatique n’est pas un mouvement reconnu du grand public. Il note toutefois que la métropole montréalaise dispose d’un large bassin de compositeurs. « Montréal est une plaque tournante de la musique acousmatique de niveau mondial », explique-t-il, ajoutant qu’il n’est pas rare de voir figurer un Québécois sur les podiums des concours internationaux dédiés à ce mouvement.
« C’est en train de se développer, poursuit-il. Certainement parce que ça requiert une technologie de plus en plus accessible et abordable. » Pour lui, les situations permettant de diffuser des pièces sonores dans ces conditions particulières se multiplient. « Aujourd’hui, on peut même en retrouver dans les festivals dédiés à la musique électronique disons moins nichée. »
La musique acousmatique s’ouvre même à d’autres situations de création, selon l’étudiant. Il explique que le genre, associé à une autre forme d’art, est déjà bien démocratisé. « Dans un spectacle de danse, ou au théâtre par exemple, on peut parfois avoir des sons de haut-parleurs tout autour de la scène, décrit-il. Sans le savoir, le public se retrouve dans une situation d’écoute similaire. » Il conclut que le genre profite du rayonnement offert par la frontière parfois floue qu’il existe entre les domaines d’expression artistique.