Volume 26

Vincent réussit à associer sa passion pour le vélo avec son emploi. Crédit photo : Benjamin Parinaud.

À la course

«Travailler pour une application, c’est une lame à double tranchant, explique l’étudiant en enseignement du français langue seconde à l’UdeM Vincent Tjorbajes. Tu n’as pas à dealer avec un boss et tu as beaucoup de liberté, mais s’il t’arrive quelque chose en livrant la nourriture, c’est toi qui en payes le prix. » Coursier à vélo à temps partiel en été comme en hiver, Vincent témoigne qu’il n’est aucunement assuré par son employeur en cas d’accident. « Une porte de voiture qui s’ouvre sur le côté de la rue, ça arrive vite ! » illustre-t-il.

Risques et salaire variable

Pour l’ancien étudiant au baccalauréat en économie et politique Xavier**, être coursier est avantageux compte tenu des horaires flexibles, mais le salaire ne reflète pas la difficultés du métier. « Par shift de 5 heures, je me faisais insulter au moins une fois, raconte-t-il. On m’a déjà couru après et lancé de la nourriture. Comme tu es payé à la course, tu as tendance à prendre de gros risques et à brûler les feux pour aller plus vite et te faire un salaire convenable. »

Il explique qu’il doit réaliser environ trois livraisons par heure pour se faire 15 $, mais qu’il perd beaucoup de temps à attendre les commandes sans être payé. « Quand ça te prend 20 minutes pour trouver un client qui est parti de chez lui sans prévenir personne, tu as zéro compensation », lance-t-il. Même son de cloche pour l’étudiante au baccalauréat en enseignement à l’UdeM Florence Labrèche, qui livre en automobile. Pour elle, il est impossible de savoir où la livraison a lieu avant d’avoir récupéré la commande de nourriture. « On peut t’envoyer pour ta dernière course à l’autre bout de l’île de Montréal, et le retour te coûtera cher en gaz », dit-elle.

Florence explique qu’en fonction des plages horaires et de sa localisation, son rythme de livraison peut être très achalandé, comme il peut lui arriver de ne recevoir aucun appel. « Parfois, je passe plus de temps à attendre une livraison qu’à travailler, ça revient presque à faire du bénévolat ! » déplore l’étudiante. Elle fait aussi face à des contraintes liées au trafic, au stationnement et à l’essence à sa charge.

Voilà pourquoi Vincent estime que ce travail est plus rentable à bicyclette, surtout au centre-ville. Quand vient l’hiver, il reconnaît que la tâche est plus difficile, mais elle est aussi plus payante. « En fonction des conditions météorologiques, s’il manque des livreurs, l’application nous encourage avec des bonus. »

Une « ultraflexibilité »

Vincent affirme que c’est l’emploi idéal pour un étudiant qui n’a pas d’horaires fixes. « Je n’ai pas du tout l’impression de me faire exploiter en faisant du 20 $ de l’heure, soutient l’étudiant. Je peux décider de travailler quand je veux. Je fais parfois une ou deux livraisons et je rentre chez moi après. » Malgré les avantages en matière de liberté et de flexibilité, Florence se désole que son emploi manque d’encadrement. « Ça ne paraît pas, mais le jour où j’ai un problème, je n’ai aucun numéro pour joindre mon employeur et je suis totalement livrée à moi-même », explique-t-elle en avouant ne pas être au courant des prises en charge de l’application en cas d’accident.

Surveiller ses droits

Selon le professeur en sociologie de l’UdeM Paul Sabourin, les économies de plateforme sont une option à envisager pour des étudiants souhaitant s’insérer rapidement au sein du marché du travail. Mais si ces emplois ne nécessitent pas de compétences particulières, il soutient qu’ils n’en développent pas non plus. M. Sabourin estime que toutes les entreprises fonctionnant sur le principe d’économies de plateforme ne sont pas toutes intéressantes. Il avance que certaines compagnies ne sont pas encadrées par les lois salariales minimum et conseille donc aux étudiants de bien s’informer sur leur employeur et sur leurs droits avant de se lancer.

*BMO (2018), The Gig Economy.

**L’intervenant n’a pas souhaité donner son nom de famille.

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