Culture

La bibliothèque Marc-Favreau est issue

Quand la ville rapproche

Propos recueillis Par Esther Thommeret | Photos par Benjamin Parinaud

Quartier Libre : Comment penser et dessiner la ville pour qu’elle soit facteur d’inclusion sociale et culturelle ?

Philippe Poullaouec-Gonidec : Si nous parlons d’inclusion sociale, il faut prendre en compte l’idée des générations. La ville doit se développer avec une vision intergénérationnelle. À Montréal, la ville a tendance à se former par tranches d’âge. Nous pouvons l’observer dans de nouveaux projets comme Griffintown, où des condominiums sont construits pour des jeunes entre 25 et 35 ans, qui veulent se retrouver pour vivre ensemble, avec les valeurs de leur génération. Actuellement, la ville est de moins en moins inclusive. Quand je parle d’inclusion, c’est l’idée de vivre ensemble pour rendre la ville plurielle à ces générations.

Concernant l’inclusion, il faut éviter le phénomène des ghettos. C’est-à-dire une ville faite de communautés qui tendent à garder leur identité et à ne pas trop la partager. Montréal est un bon exemple avec les quartiers chinois, portugais, grec ou encore italien. Ces quartiers font la richesse de la ville, mais il faut se méfier de ce modèle. Je ne pense pas que cela soit un modèle d’inclusion. Il faut que la ville puisse inclure les communautés et mélanger les diverses origines entre elles. Ça permet d’éviter la discrimination, le racisme et la méconnaissance de l’autre. C’est une bonne chose, tant qu’il y a un équilibre.

Q. L. : Ces différents quartiers n’auraient donc pas un effet positif sur la cohésion sociale à Montréal ?

P. P.-G. : À l’époque, les immigrants se regroupaient par quartier après avoir quitté leur pays. Ils ne parlaient pas la langue, ils voulaient se retrouver en communauté pour pouvoir vivre leur immigration. Mais nous ne sommes plus dans ce paradigme-là. Nous sommes dans une dynamique mondialisée. L’immigration ne renvoie plus au même mode de comportement d’inscription spatiale dans la ville. Bâtir une ville en garantissant l’inclusion sociale et culturelle, c’est bâtir une ville plurielle d’expression et de forme, pour ne pas en faire une ville générique sans âme et sans identité. Il faut travailler sur un espace urbain qui regroupe les différentes valeurs de la population. C’est le grand défi des architectes et des urbanistes pour les années à venir.

Q. L. : Quel est le pouvoir de l’art en tant que vecteur d’inclusion et de non-discrimination dans l’espace urbain ?

P. P.-G. : À la journée mondiale des villes, deux artistes du street art étaient présents. Ils nous ont fait comprendre d’où venait leur discipline. Au départ, c’était un art de communication entre les clans et c’était par les tags qu’ils se reconnaissaient. De cette soif d’être reconnu et d’exister dans la ville est né l’art urbain. Maintenant, il ne s’agit plus d’une signature par le tag, mais davantage d’une méthode de revendication, d’un art des minorités, d’un art de reconnaissance de la culture dans la ville des communautés les plus pauvres, les moins considérées.

quand la ville rapproche

Cette bibliothèque marque la modernisation de l’image d’une nouvelle génération de bibliothèques. Pour le jury, le projet s’est bien adapté à la trame urbaine et au site. La souplesse des espaces laisse place au parc Luc-Durand, à l’arrière, qui est entouré d’une multiplicité d’occupants.

 Q. L. : Qu’en est-il de l’art public dans la ville ?

P. P.-G. : Les politiques de l’art public à Montréal ont mis en place un programme qui consiste à consacrer 1 % du coût total du projet d’architecture à un artiste. L’œuvre d’art de la place Émilie-Gamelin est une expression d’art public dans un espace public et en est un bon exemple. Nous pouvons être critiques par rapport à cette idée-là, non pas sur l’art en tant que tel, mais sur la façon de l’amener dans la ville. L’artiste est obligé de composer son art avec une architecture déjà établie, ce qui n’est pas toujours facile. Il faudrait intégrer l’artiste au projet dès le départ.

Q. L. : Est-ce que cet art urbain permet à la population de se sentir mieux dans la ville ?

P. P.-G. : Ça peut être le cas. L’art public amène un regard complémentaire de celui qui est exprimé par l’architecte ou le designer urbain. Aujourd’hui, l’aménagement public est chargé de sens. L’expression d’une architecture, ce n’est pas seulement jeu de forme, mais aussi de sens. Soit les formes dialoguent avec le contexte, soit les formes expriment un élément clé du bâtiment. L’œuvre artistique dans des espaces publics comme une bibliothèque, une mairie ou un pavillon universitaire, apporte un autre élément de sens, une expression.

quand la ville rapproche

Aménagements de la rue de Castelnau, réalisés en 2016 par l’Atelier Urbain. Pour Philippe Poullaouec-Gonidec, ils se démarquent par leur caractère inclusif et leur avant-gardisme en matière de participation citoyenne.

Q. L. : Quelle est la place des citoyens dans ces projets architecturaux ?

P. P.-G. : Aujourd’hui, nous développons des processus de concertation auprès de la population locale lorsque nous mettons en place des projets publics. Il existe également des démarches de cocréation, telles que des ateliers participatifs, où nous demandons aux représentants de la société civile et aux citoyens de donner leurs points de vue.

quand la ville rapproche

Depuis 1991, la Ville de Montréal met en œuvre des initiatives qui visent à stimuler la création en design, notamment en soulignant les créations de firmes d’aménagement en urbanisme. C’est le cas de l’Atelier Urbain, un des studios qui a participé à l’inscription de Montréal comme Ville UNESCO de design en juin 2006.

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