«Pourquoi l’esprit critique s’arrête-t-il au seuil de l’orthographe ? », se demandent les auteurs de la tribune parue dans le quotidien français Libération le 2 septembre dernier. Appuyés par la Fédération de Wallonie-Bruxelles et nombre d’instances linguistiques belges, ils affirment que cet accord n’est plus porteur de sens.
« Notre langue est en décadence, en pleine dégénérescence », s’est alarmé le membre de l’Académie française et écrivain Jean-Marie Rouart. Celui qui siège à l’institution depuis 1998 s’oppose fermement à la proposition avancée par les professeurs. La Fédération de Wallonie-Bruxelles a depuis calmé le jeu, précisant qu’elle n’irait de l’avant avec une telle réforme que si elle s’inscrit dans un cadre international.
Au Québec
Le professeur titulaire au Département des études littéraires de langue française Benoît Melançon ne croit pas à une décadence du français au Québec. « Non, la langue ne se simplifie pas, affirme l’auteur de l’ouvrage, Le niveau baisse*. Les langues évoluent. »
Il admet que plusieurs modifications ont vu le jour par le passé tant au niveau du vocabulaire que dans le lexique. Le mot trampoline, par exemple, a été revu par l’Office québécois de la langue française (OQLF) et peut dorénavant s’employer au féminin. « La syntaxe n’est pas modifiée de façon profonde [au Québec] », tempère cependant le professeur.
M. Melançon voit d’un bon œil la proposition de réviser la règle d’accord des participes passés. « À mes yeux, cette proposition est parfaitement défendable, note-t-il, le niveau baisse*. Il y a beaucoup de choses qu’on pourrait faire qui seraient plus utiles que de passer beaucoup de temps sur cette règle ». Il croit qu’enseigner l’histoire de la langue serait plus pertinent.
Prudence
Pour l’OQLF, une telle proposition pourrait voir le jour au Québec, mais pas à n’importe quel prix. « La modification de règles de grammaire n’est pas une mince tâche et demande l’atteinte d’un large consensus pour pouvoir s’implanter », explique le porte-parole et secrétaire à la coopération linguistique, Jean-Pierre Le Blanc. Il assure toutefois que l’Office n’ignore pas l’évolution de la langue française au Québec comme ailleurs dans la francophonie.
Le Bureau de la valorisation de la langue française de l’UdeM ne veut pas se risquer à prendre position sur le dossier des participes passés. « [On] est à l’affût des tendances et on effectue une veille en la matière, rapporte la porte-parole de l’université Geneviève O’Meara. Le Bureau suit aussi ce que fait l’Office de la langue française qui a pour mandat de définir la norme et d’orienter l’usage du français au Québec. »
Déjà vu
Ce n’est pas la première fois qu’une telle controverse linguistique s’invite dans la francophonie. En 2016, l’adoption des rectificatifs de l’orthographe par le gouvernement français — proposés en 1990 — par une majorité d’éditeurs en France avait suscité un tollé, alors qu’au Québec, les réactions avaient été plus modérées, évoque M. Mélançon. Il voit l’affaire comme un signe que des changements peuvent se faire.
* Melançon, Benoît. Le niveau baisse. Montréal, Del Busso Éditeur, 2015.