« Il est fondamental de se positionner et de réfléchir à la responsabilité du professionnel, explique le professeur à l’École d’architecture de l’UdeM et membre fondateur du groupe Information et recherche pour la reconstruction Gonzalo Lizarralde. C’est une réflexion sans réponse absolue. On essaie de maintenir un dialogue constant entre professionnels, avec les communautés et les acteurs du milieu, pour mieux contribuer à résoudre les problèmes de société. »
Cette tâche implique ainsi un lien continu avec les populations qui reçoivent de l’aide. « Le type de relation est avant tout d’empathie, c’est-à-dire se mettre à la place des autres, essayer de comprendre leurs besoins, leurs attentes, leurs souffrances et leurs préoccupations à court, moyen et long termes », précise M. Lizarralde. Il ajoute qu’il est aussi nécessaire d’écouter attentivement les revendications des habitants et de comprendre que le professionnel ne peut se substituer à eux dans la prise de décisions. « En tant que professionnel, on a la responsabilité d’offrir des choix et des scénarios, mais toujours en laissant aux habitants l’occasion de prendre des décisions », affirme-t-il.
Les architectes doivent faire preuve de créativité pour aller au-delà de ce qui existe déjà et trouver des solutions mieux adaptées aux besoins des populations. S’il s’agit d’une réalité dans toute forme d’architecture, il existe des considérations supplémentaires en situations d’urgence. « Je dirais qu’il y a trois niveaux de responsabilité éthique : la responsabilité envers la société sous une optique de justice sociale, la responsabilité envers la nature et la responsabilité envers l’architecture et la ville elle-même », élabore M. Lizarralde.
Une coopération parfois ardue
Si les architectes tentent d’offrir leur savoir lors de crises humanitaires, ils peuvent se heurter à l’inaction des gouvernements. « Parfois, les autorités vont ignorer une partie de la population, relate le professeur. D’ailleurs, ces habitants sont souvent dans des situations de marginalité ou de pauvreté parce qu’ils ont été marginalisés par la société. »
Ces problèmes s’accentuent lorsque l’intervention se fait dans des pays en voie de développement, selon la doctorante en aménagement, Faten Kikano. « L’appropriation de l’espace dépend en général de la notion de pouvoir, explique-t-elle. Le pouvoir affecte beaucoup la relation entre le système social et le système spatial. Dans le cas des réfugiés, le pouvoir est encore plus important qu’ailleurs. »
Pour cette dernière, il est nécessaire d’offrir aux populations sinistrées du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord les moyens et la flexibilité de modeler leur environnement, puisqu’ils le feront dans tous les cas. Elle donne l’exemple de communautés de réfugiés déplaçant leurs habitations placées en rangées pour produire des environnements fermés, à l’image de ce dont ils profitaient auparavant.
Voir au-delà de la crise
Au Québec, des groupes comme Architecture sans frontières Québec et Œuvre durable se dévouent à l’architecture humanitaire. « Si les architectes ne peuvent intervenir que d’une façon très limitée durant les crises, ils peuvent certainement être d’une grande aide après les crises, croit le président d’Architecture sans frontières Québec, Christian Samman. Notre rôle est de venir sensibiliser les populations, de les aider à évaluer les dégâts et de leur donner des directives et recommandations. »
L’organisation dirigée par M. Samman est venue en aide à des populations déplacées par des guerres ou des catastrophes naturelles au Népal, à Madagascar, en Syrie et en Haïti, mais aussi à des communautés autochtones et des sinistrés d’inondations au Québec. « Ce qui est important pour nous n’est pas seulement d’apporter un soutien pour le logement, mais d’aligner une approche qui puisse servir à long terme, précise-t-il. Le transfert de technologies et de savoir-faire devient un acquis pour ces communautés et leur permet de continuer par elles-mêmes. » Pour lui, ces interventions font appel à une approche qui concilie les besoins du court et du long terme.