Outre les liseuses électroniques et les logiciels de traitement de texte, les possibilités qu’offrent les technologies numériques ne manquent pas d’inspirer des approches de création littéraire originales à un nombre croissant d’écrivains, qu’ils soient amateurs ou de renom.
Dès les années 1950, les codes et l’informatique ont été utilisés à des fins de création littéraire. La pratique s’est intensifiée depuis les années 1980. Un nouveau courant a vu le jour, nommé littérature numérique. Haïkus générés sur mesure, romans infinis, poèmes interactifs, c’est une grande variété de formats littéraires qui s’offre aujourd’hui aux lecteurs sur le Web, que ce soit sur des plateformes comme Facebook et Twitter, ou sur des blogues et sites indépendants.
Le terme « numérique », s’il est évocateur, s’utilise de toutes sortes de façons. « Il est dangereux d’utiliser l’expression “le numérique”, parce que celle-ci a tendance à essentialiser, explique une postdoctorante au Département des littératures de langue française de l’UdeM, Servanne Monjour. Ce serait plutôt un fait numérique ou une culture numérique. Il y a aussi des technologies numériques, toutes vraiment différentes. »
Numérique et numérisée
Différente de la littérature numérisée, c’est-à-dire la conversion d’un texte papier en données numériques, la littérature numérique est destinée aux espaces électroniques et s’efforce de réviser les formes littéraires traditionnelles. « Comparé au changement du manuscrit au livre, prolongation plus linéaire, ce changement est beaucoup plus important, explique le directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur les humanités numériques, Michael E. Sinatra. Puisque la forme même est immatérielle, elle ouvre aussi la porte à une conception renouvelée de la littérature, qui n’est alors plus simplement du texte, mais aussi des images, du son, tout un ensemble de possibilités. »
Forts du potentiel qu’offrent ces outils de création, certains auteurs intègrent des supports allant de la photo à la réalité virtuelle. Cette transformation ne va pas sans remettre en question la notion même de littérature numérique. « La difficulté est de trouver ce qui prime dans l’œuvre, explique M. Sinatra. Est-ce un texte supplémenté par des images et du son ou plutôt un tout, pris dans l’ensemble ? Dans ce dernier cas, on se rapproche alors peut-être plus d’un autre médium. »
Or, cette évolution n’est pas nécessairement une rupture avec le passé. « Je pense que le numérique doit être interprété en continuité avec la tradition précédente parce que, sinon, on risque d’avoir une vision trop technodéterministe, comme si la technologie changeait complètement la culture, argumente le professeur de littérature et culture numérique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les Écritures numériques, Marcello Vitali-Rosati. Ce n’est pas le cas. »
Comme l’explique ce dernier, l’idée du texte comme étant pur, autonome, unique est elle-même récente, datant des évolutions dans l’industrie de l’édition au xixe siècle, lorsque le livre commença à devenir l’objet d’une commercialisation de masse. De même, si les technologies numériques permettent d’intégrer de nombreux outils et supports sur une seule interface, l’idée d’intégrer plusieurs disciplines artistiques à la littérature est une idée que l’on retrouve chez un grand nombre d’auteurs du passé.
Étudier la littérature à l’ère numérique
Si les technologies numériques ont eu un impact important sur la création littéraire, l’étude de la littérature s’est aussi vue affectée. « Ça renouvelle vraiment notre rapport à la littérature d’un point de vue épistémologique, explique Servanne. On redécouvre des façons d’analyser la littérature. » Par exemple, des logiciels permettent maintenant d’analyser des bibliothèques numérisées au complet en quelques clics.
En parallèle, des changements s’opèrent aussi dans les modes de lecture alors qu’il est désormais possible de rechercher des informations rapidement sur la même interface que celle sur laquelle nous lisons.
Avec ces changements, de nouvelles exigences émanent en ce qui concerne la formation des étudiants en littérature. « C’est important d’avoir des gens très bien formés en littérature, qui ont une très bonne culture littéraire et qui vont développer des compétences en culture numérique et en informatique pour participer à l’invention du livre de demain », opine la postdoctorante. Pour cette dernière, il est primordial de ne pas laisser des compagnies comme Google et Amazon décider de ce qu’il adviendra du livre du futur.