Culture

Entre art et communication

Selon M. Choko, l’aspect artistique de l’affiche est incontestable, mais, à la différence d’un objet d’art reconnu comme tel, son procédé artistique se définit en fonction des contraintes commerciales qui lui sont imposées. « Pour moi, c’est un exercice artistique particulier, qui est complètement différent d’un tableau, parce qu’il y a une commande, des contraintes, lesquelles sont partie intégrante de la réussite éventuelle de l’œuvre, explique-t-il. Un très bon peintre n’est pas forcément un bon affichiste. »

Il ajoute qu’historiquement, les milieux artistiques méprisaient l’affiche, surtout en Amérique du Nord. « C’est encore en grande partie vrai aujourd’hui parce que c’est de l’art commercial », dit-il.

L’étudiante libre Émilie Larocque-Allard a été chargée du graphisme de poèmes-affiches pour l’exposition performative Le cœur-réflexe, un vaste projet intermédiatique autour du livre Montréal brûle-t-elle ? de la poétesse Hélène Monette. Elle considère que l’affiche se trouve à mi-chemin entre l’œuvre d’art et l’objet de communication pouvant être reproduite à l’infini et de manière identique. « Ce sont des œuvres tirées à tellement d’exemplaires qu’il n’y a pas le précieux de l’œuvre unique, explique-t-elle. On dirait qu’on s’en détache plus facilement. »

Atteindre un large public

En réponse à un appel de la revue des étudiants en littératures de langue française de l’UdeM, Le Pied, l’étudiant en maîtrise recherche et création littéraire à l’UQAM Emmanuel Deraps a collaboré avec un illustrateur pour la création de poèmes-affiches. L’initiative de la revue visait à présenter l’affiche comme forme littéraire à part entière, tout en utilisant ce support comme outil de promotion de la poésie. « Il est évident que les formes visuelles rendent le texte plus accessible, croit Emmanuel. L’affiche attire le regard, introduit la poésie dans l’espace public. Il y a quelque chose de subversif à laisser des poèmes là où ils ne sont pas attendus, là où les destinataires ne sont pas en mode réception. »

Cette particularité de l’affiche est soulignée par le professeur Marc H. Choko. « Pour moi, c’est la plus grande exposition à ciel ouvert, gratuite et constamment renouvelée qui puisse exister », illustre-t-il.

Un procédé collaboratif

L’exercice de collaboration entre poète et illustrateur a été, pour Emmanuel, une expérience enrichissante d’échange entre deux modes d’expression et un réel apport à son travail et sa réflexion artistiques. « J’ai laissé mon univers littéraire entre les mains d’un réalisateur qui s’est donné pour mission de lui donner une image, de le traduire visuellement, exprime-t-il. C’est évident que le texte, à ce moment-là, t’échappe un peu en tant qu’auteur, et c’est un peu la beauté de la chose. Ton texte, qui t’était si cher, devient quelque chose d’externe, prend vie à l’extérieur de toi. Tu n’as plus vraiment de contrôle sur lui. »

Dans le cas d’Émilie, le projet du Cœur-réflexe l’a amenée à faire des concessions. « Ça fait beaucoup de cerveaux qui pensent de manière différente, il a fallu faire beaucoup de choix, témoigne-t-elle. Il y en a qui voulaient des trucs pour provoquer l’auditoire, moi je n’étais pas vraiment d’accord avec ça. »

L’affiche en tant qu’œuvre littéraire offre ainsi d’intéressantes possibilités, en dépit de ses limites. « Le format de l’affiche répond et alimente plus fortement un certain type de poème, mais n’a que peu de choses à apporter à d’autres types de poèmes », indique Emmanuel. Selon lui, l’écriture de recueil permet une réflexion plus approfondie, alors que l’affiche possède l’avantage d’être intense et instantanée.

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