Conçu à partir de recommandations d’étudiants en droit de l’UdeM, le projet de loi sous sa forme actuelle modifierait l’article 128 de la loi sur le Barreau, selon lequel seuls les avocats ont le droit d’offrir un avis juridique. Dans le contexte d’une clinique juridique affiliée à une faculté de droit et sous la supervision d’un membre du Barreau ou de la Chambre des notaires, les étudiants auraient désormais cette possibilité.
Actuellement, au Québec, les étudiants ne peuvent offrir autre chose que de l’information juridique. La différence est mince entre information et avis juridique, mais elle est déterminante selon l’un des coordonnateurs du Réseau national d’étudiants pro bono section UdeM et instigateur de ce projet, Alexandre Csuzdi-Vallée. « C’est comme un médecin résident, illustre-t-il. Il peut écouter et analyser les problèmes du patient, mais il n’a pas le droit de donner un diagnostic, même s’il en est certain. »
Autoriser les étudiants en droit à offrir aux citoyens des avis juridiques permettrait non seulement d’améliorer et de valoriser leur formation, mais également d’accélérer le système de justice et de le rendre plus accessible. « Une mère monoparentale qui travaille au salaire minimum se qualifie de justesse pour l’aide juridique au Québec, soutient Alexandre. Et la plupart des gens de la classe moyenne ne peuvent se permettre de débourser des centaines de dollars par heure pour les services d’un avocat professionnel. »
De plus en plus de Québécois n’ont d’autres choix que de se représenter eux-mêmes en cour, alors qu’ils pourraient bénéficier des services gratuits ou à faibles coûts des étudiants en droit. « Le manque de financement limite la capacité d’aider qu’ont les milieux communautaires, remarque le vice-président aux affaires administratives de l’Association des étudiants en droit de l’UdeM (AED) et co-instigateur du projet, Philippe Dion. Les étudiants pourront ainsi désengorger le système tout en permettant aux avocats de se concentrer sur les tâches plus complexes ou importantes. »
Le Québec est à la traîne dans ce dossier par rapport au reste du Canada selon le professeur à la Faculté de droit de l’UdeM, Pierre Trudel, qui dénonce la réticence du Barreau du Québec à innover. « Cela fait plusieurs années qu’on doit se battre avec le Barreau simplement pour faire ici ce qui se fait déjà ailleurs, affirme-t-il. On doit se servir de l’apprentissage des étudiants pour valoriser leur travail. Ainsi, ils se forment, ils apprennent, et les services juridiques sont offerts de façon plus intéressante à la population. »
Protéger le public
Les arguments souvent invoqués par le Barreau pour ne pas augmenter le pouvoir juridique des étudiants sont les concepts de protection du public et de non-concurrence avec les avocats ou notaires. Pour Alexandre, il s’agit d’un non-sens. « L’idée de supervision par un membre du Barreau est très importante et permet de s’assurer de la qualité du travail de l’étudiant », note-t-il. De plus, les gens qui bénéficieront de ces avis juridiques étudiants n’auraient probablement pas les moyens de se payer un vrai avocat. Il n’y a donc pas réellement de concurrence, mais plutôt une meilleure accessibilité, selon les instigateurs du projet
Pierre Trudel trouve rafraîchissante cette volonté des étudiants de s’impliquer davantage et juge que le Barreau devrait tout faire pour les appuyer. « Le Barreau va un peu de reculons, et demeure ancré dans des pensées qui datent du XIXe siècle, déclare-t-il. Les étudiants ont des façons nouvelles de voir les choses, mais le Barreau les a trop longtemps refroidis afin de les transformer en momies à cravates ».
Le Barreau s’est pour le moment dit favorable au projet de loi présenté par Simon Jolin-Barrette, tout comme la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée. Cela n’est toutefois qu’un premier pas pour Alexandre, Philippe et leur collègue Laurianne Walker-Hanley, qui voudraient étendre ce projet au-delà des murs universitaires, notamment en milieu communautaire.