Pour sa 69e édition, le Festival de Cannes semble avoir cédé à la mode du vintage. Pour la première fois depuis 2007, l’affiche officielle ne représente pas un acteur, mais le photogramme d’un film. Et pas n’importe lequel : Michel Piccoli gravissant de jaunes escaliers, face à la mer, dans une Italie écrasée de chaleur. Des escaliers, la couleur jaune, la mer, la chaleur… Cette image du Mépris de Godard ne saurait mieux correspondre au Festival de Cannes. Plus rétro encore, l’affiche fait renaître la vieille dénomination de « Festival international du Film », pourtant inusitée depuis 16 ans. Il n’y avait plus que les Cannois, un peu aigris du bruit et de la fureur qui vient sempiternellement envahir leur bourg d’ordinaire si calme, qui utilisaient ce dénominatif un peu suranné de « FIF ». Mais les hipsters sont passés par là, le désuet maintenant, c’est hype.
Le bruit et la fureur
Mais le Festival de Cannes, c’est bien plus qu’une compétition de films. La sélection officielle est le noyau d’une galaxie d’évènements qui accélère, pendant une quinzaine de jours, les rouages de l’industrie cinématographique. Autour du noyau qu’est la sélection officielle gravite toute une série de sélections parallèles (La Quinzaine des réalisateurs, La Semaine de la critique…), de rencontres professionnelles, ainsi qu’un Marché du film. Et pas n’importe lequel : le plus important dans le monde. C’est là que les exploitants (les directeurs de salles) du monde entier viennent faire leur marché, négociant avec les distributeurs les films qui « prendront l’affiche » l’année suivante. C’est là que ces distributeurs choisissent parmi les productions présentées celles qui rejoindront leur catalogue. Et à cet endroit-là, la concurrence est féroce. La sélection et éventuellement le prix d’un film au Festival de Cannes attisent la convoitise des distributeurs qui se disputeront ses droits d’exploitation.
Mais dans les allées de l’immense Palais des festivals, nombreux sont les producteurs et les réalisateurs qui errent, cherchant vainement à rencontrer le distributeur qui acceptera de voir leur film, même s’il n’a pas eu les honneurs d’être sélectionné. Et peut-être, alors, que ce film plaira, qu’il sera acheté par le distributeur, puis programmé par des exploitants. Néanmoins les élus sont rares et les candidats nombreux.
Ne vous y trompez pas : derrière les lumières et les paillettes, Cannes est un champ de bataille. Les fêtes sont des armes de persuasion massive, et si l’alcool coule à flots, c’est pour délier les langues. Du financier aux poches pleines au comédien à la recherche d’un rôle, de l’artiste incompris au PDG d’un studio hollywoodien, Cannes est le formidable bouillon de culture du cinéma international. On y cherche tous quelque chose, et personne n’est là par hasard. Les sourires sont aussi âpres que les négociations. Chacun a l’importance que son accréditation lui donne – chose utile, les intentions de chacun s’affichent explicitement autour du cou. Critiques aux plumes acérées, distributeurs aux dents longues, la guerre est déclarée. Une guerre festive, de poignées de mains, de strass et de buffets garnis, une guerre nécessaire : de son issue dépendra notre année cinématographique. Aux armes, et que la fête commence !