Faim d’études

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Par Justin Doucet
mardi 10 janvier 2012
Faim d'études

Le nombre d’étudiants montréalais qui ont recours aux services d’aide alimentaire a triplé au cours des trois dernières années. Un indicateur de la précarité qui se développe, mais aussi un moyen de lutter contre le gaspillage. Portraits d’étudiants.


Trois fois plus d’étudiants dans les files d’attente de Moisson Montréal par rapport à fin 2008: ce sont les derniers chiffres de cette grande banque alimentaire chargée de la distribution métropolitaine et provinciale des denrées pour les Banques alimentaires du Québec (BAQ). Dans la même période, la demande globale en aide alimentaire sur l’île de Montréal a augmenté de 32 %, précise Dany Michaud, le directeur général de l’organisme.

Abdel est doctorant étranger à l’École Polytechnique de Montréal. Père de famille, il a recours au panier alimentaire mensuel offert par la MultiCaf de Côte-des-Neiges (voir encadré), car sa bourse de 19000 $ par an n’est pas suffisante pour le faire vivre avec sa femme et ses enfants. « Je paye 8400 $ par année pour le loyer, 3000 $ en frais de scolarité et même si je paye déjà une assurance de 2000 $ pour moi et ma famille, je suis obligé [par les règlements de la polytechnique] de payer 1200 $ au régime collectif d’assurance maladie pour étudiants étrangers », calcule-t-il. « La différence [dans notre budget] à la fin du mois est petite, mais c’est un bon service. Et dans mon pays, ce n’est pas offert. »

Steve récolte son butin de fruits et légumes acheté pour 5 $ à L'Oeuvre des Samaritains. Crédit pascal Dumont

« Pour le 5 $ que l’on payait pour un panier, on pouvait obtenir l’équivalent de 40 $ d’aliments, donc on économisait substantiellement. On voyait la différence à la fin du mois », explique Steve, un étudiant de 24 ans à la maîtrise en histoire à l’UdeM. Il avoue pourtant ne pas avoir été en situation d’urgence financière pendant cette période, mais il explique aussi qu’il ne travaillait pas et que son budget était restreint.

Jusqu’à l’été passé, lui et ses cinq colocataires ont eu recours à l’aide alimentaire du centre de loisirs L’OEuvre des Samaritains, où il y avait moins de demande et où parfois il restait des denrées à la fin de la semaine. Ils ont évité d’autres centres de distribution où les gens plus pauvres étaient nombreux. « Nous sommes allés à d’autres comptoirs alimentaires, mais nous ne nous sentions pas à l’aise quand on voyait que d’autres personnes avaient plus besoin de ces services que nous », explique-t-il.

C’est une attitude appropriée, puisque la crise n’épargne pas les banques alimentaires. « Depuis 2008, la situation est plus difficile, pour les bénéficiaires, pour les donateurs et donc pour nous, les organisations. La demande pour l’aide alimentaire augmente, les dons diminuent, donc on doit travailler plus fort pour obtenir le même résultat », déplore Nicolas Carpentier de l’organisation communautaire Jeunesse au Soleil.

Économie et écologie

Pour Steve et ses colocataires, la fréquentation des banques n’est toutefois pas uniquement motivée par des raisons économiques. Ils savent aussi que ces établissements participent à la récupération d’aliments qui seraient sinon jetés. « On savait que ces programmes contribuent aussi à réduire le gaspillage […] Pendant cette période où nous travaillions peu ou pas, l’on pratiquait aussi la récupération du pain dans les boulangeries et le dumpster diving (fouille des poubelles). Il y a toujours eu le souci d’économie, mais ça s’inscrivait aussi dans une certaine prise de conscience. » Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 1,3 milliard de tonnes, soit le tiers des aliments produits sur la planète, est perdu ou gaspillé chaque année. Les hauts standards de qualité des commerçants et des consommateurs empêchent des aliments parfaitement comestibles, endommagés lors du transport ou de la transformation, de se rendre aux étalages des supermarchés. Par exemple, certains commerçants refusent de vendre des boites de conserve abîmées ou des carottes de forme irrégulière.

Au Québec, Moisson Montréal récolte annuellement 10 millions de kilos de denrées alimentaires en provenance de producteurs agricoles, d’entreprises et de supermarchés. Ce sont des dons, souvent issus de surplus d’inventaire, qui ne pourraient être vendus avant leur expiration, ont été légèrement endommagés lors du transport ou qui comportent des imperfections ou des erreurs d’emballage. Il y a une dimension socialement responsable aux activités de Moisson Montréal, considère Dany Michaud.

« On est vert chez nous ! La récupération est centrale à notre mission. On se préoccupe avant tout des urgences alimentaires, mais on cherche des solutions à la faim qui soient durables », conclut-il.

 

Une corne d’abondance à montréal

Fondée en 1984, Moisson Montréal est la première banque alimentaire du Québec.

Avec comme mission de réduire la pauvreté et la faim, elle dessert 212 organismes communautaires sur l’île.

Pour Dany Michaud, le directeur général de Moisson Montréal, son organisme participe à une action sociale plus large qui ne se limite pas à l’aide alimentaire. « La tâche de Moisson Montréal, c’est de mobiliser les denrées vers les organismes, pour qu’à leur tour, ils prennent en main ceux qui sont en situation difficile », explique-t-il.

L’organisme dépend surtout de bénévoles (3740 annuellement) et son financement est un mélange de mécénat et d’aide publique.

24% des dons financiers proviennent de fondations, 18 % des entreprises alors que le gouvernement et les élus contribuent à hauteur de 13 %. Le reste se répartit entre les dons d’individus, la grande guignolée des médias et les groupes religieux.

Jeunesse au Soleil, action à grande échelle

Des courgettes et du papier toilette : deux étudiants repartent avec les paniers de Noël de Jeunesse au Soleil, qui distribue aussi bien des produits hygiéniques que de la nourriture. Crédit Pascal Dumont

Cet organisme procure des paniers alimentaires à 2000 familles tous les mois. Ils contiennent des produits hygiéniques en plus des denrées périssables. Si vous êtes étudiant, le seul critère requis pour s’inscrire est d’avoir un faible revenu. Pour savoir si vous êtes admissible, il suffit de prendre un rendez-vous et d’effectuer une évaluation financière. Le contenu des paniers sera adapté à la taille de votre ménage.

4251, rue Saint-Urbain. Pour prendre rendez-vous, appeler le 514-842-1214 entre 9 heures et midi.

sunyouthorg.com

 

Inclusion et interaction au Mile-End

Des aliments et des vêtements à bas prix: la Mission communautaire du Mile-End offre aussi un service de friperie. Crédit Pascal Dumont

La Mission communautaire du Mile-End est peut être le plus socialisateur des comptoirs alimentaires. On peut y voir manger et discuter des sans-abri, mais aussi des mères de famille, des adolescents et des enfants.

Ce petit local (on peut y asseoir 45 personnes), est un véritable lieu d’inclusion: la «clientèle» et les bénévoles se connaissent par leur nom, tous participent au nettoyage après les repas, on y entend parler le français et l’anglais, mais aussi l’espagnol. La Mission donne des cours de yoga, vend des articles de vêtements à prix modique, propose des ateliers d’art et donne accès à une clinique juridique.

99, rue Bernard. Les paniers alimentaires sont réservés aux résidents du Mile-End, mais tous sont bienvenus aux repas communautaires. Les déjeuners sont servis de 9 heures à 10 heures les jeudis et vendredis et les dîners sont servis les mardis, mercredis et jeudis. Tous les repas sont gratuits et les paniers alimentaires sont à 1 $.

mileendmission.org

 

multiCaf, plus que de l’aide alimentaire

Jason adore MultiCaf. Il y vient tous les matins depuis longtemps et promet que c’est le meilleur déjeuner en ville, surtout pour 1,50 $. Crédit Pascal Dumont

La cafétéria communautaire MultiCaf est le comptoir alimentaire le plus proche du campus de l’Université de Montréal. Il reçoit des étudiants chaque semaine. Le mandat du MultiCaf est triple : réinsertion sociale, aide alimentaire, réduction de la pauvreté et de l’isolement. Il reflète la diversité culturelle de Côte-des-Neiges puisqu’il est fréquenté par des gens de plus de 100 nationalités différentes.

3591, rue Appleton. Le dîner est servi de 11h45 à 13 heures, du lundi au vendredi, les déjeuners du lundi au jeudi, de 9h30 à 10h30. Tous les repas sont à 1,50 $.

multicaf.org