Volume 23

Rassemblement de soutien aux communautés française et libanaise le 18 novembre à l'UdeM.

De loin, l’angoisse et l’impuissance

«Je voulais faire quelque chose, on se sent un peu inutiles, on ne peut rien faire pour les aider, affirme l’étudiant libano-canadien au certificat en coopération internationale à l’UdeM Omar Barbari. Ce dernier fait référence à l’attentat du 12 novembre dernier à Beyrouth qui a causé la mort de 43 personnes. Au départ j’étais très inquiet, car ça s’est passé à un ou deux coins de rue de ma résidence familiale, toute ma famille vit dans ce quartier. J’ai immédiatement appelé mon frère pour vérifier si tout le monde était correct. » 

L’étudiante française à la mineure en sciences cognitives à l’UdeM Pauline Moussa, dont le père est libanais, a fait face à l’annonce d’attentats deux jours de suite dans ses deux pays d’origine. « C’est très bizarre, on ne peut rien faire pendant que tout le monde s’agite en France et au Liban, dit-elle. Nous, on peut juste regarder les nouvelles. On se sent un peu seuls. »

Pour le professeur agrégé au Département de psychiatrie de l’Université de McGill et directeur de la division de recherche psychosociale à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, Alain Brunet, ce genre d’événements donne avant tout l’envie de se rapprocher des siens. « Dans ces situations-là, le fait d’être loin suscite un sentiment d’impuissance et de culpabilité, parce qu’on aurait aimé pouvoir faire quelque chose, explique-t-il. Mais je pense que le vécu des étudiants va être très différent dépendamment de si un de leurs proches a été tué dans ces attentats : ceux qui ont perdu un proche, au même titre que les témoins, les intervenants, les policiers, les ambulanciers, vont vivre davantage de culpabilité. »

L’étudiant français au baccalauréat en criminologie à l’UdeM Alexis-Michel Schmitt-Cadet vit actuellement cette situation, puisqu’il a perdu son cousin durant les attentats de Paris, le 13 novembre dernier. « J’ai appris dans la nuit qu’il était porté disparu, l’angoisse a commencé à naître, puis l’attente. Deux heures plus tard, j’ai su qu’il était mort au Bataclan, confie-t-il. C’est un choc particulier car sa femme attend une petite fille et il avait un enfant de quatre ans. »

L’impression d’impuissance énoncée par M. Brunet est exactement ce qu’affirme ressentir Alexis-Michel en étant loin des siens. « Je voudrais être près de ma famille, dit-il. J’ai pris la décision de retourner en France au moins une semaine. Par contre, je ne ressens pas de colère, parce qu’il n’y a pas cette ambiance dans la société québécoise, en tout cas dans les rues. […] J’ai choisi de ne pas tomber dans la haine car c’est un chemin trop facile à prendre, ça ne correspond pas à mes valeurs. »

Ce retour en France représente pour l’étudiant la possibilité de commencer son deuil. « J’ai le sentiment aujourd’hui d’être juste en flottement, je ne fais rien du tout là, assure-t-il. J’ai l’impression d’être dans une sorte de purgatoire, d’attendre, je regarde les informations en boucle, Facebook… J’ai besoin de rentrer là-bas peut-être juste pour toucher le fond et remonter. J’ai besoin de laisser l’émotion s’exprimer avec ma famille. »

Accros aux nouvelles

Qu’ils aient ou non perdu un proche durant les événements, certains étudiants touchés par des attentats dans leur pays d’origine affirment rester rivés sur les nouvelles, à l’instar d’Alexis-Michel. « On a presque l’impression que ce n’est pas vrai, parce qu’on est pas là pour voir, explique Pauline. Donc je regarde beaucoup les nouvelles et les photos des faits, j’ai besoin de mettre des images sur ce qui se passe, surtout que pour les attentats de Paris, ce sont des rues que je connais bien. »

L’étudiant au baccalauréat en droit à l’UdeM Joe Abdul-Massih, d’origine libanaise, suit également les informations en permanence. « Je considère le fait de rester rivé devant les nouvelles après une annonce horrible comme un devoir d’information que nous devons tous avoir, dit-il. Il est trop simple de se mettre la tête dans le sable. »

M. Brunet estime que ce besoin est sain. « C’est une façon pour les gens de prendre acte, de prendre la mesure de ce qui s’est passé, qui est choquant et lourd, dit-il. Mais il faut, à un moment donné, fermer la télévision et faire autre chose. »

Omar préfère quant à lui éviter les images. « J’essaie de ne pas trop regarder ça, quand je vois les photos, les enfants morts, ça me fâche, je préfère ne pas passer trop de temps dessus », dit-il.

Étudier malgré tout

Ces informations à intégrer peuvent avoir une incidence sur la facilité de certains étudiants à terminer leur session, selon M. Brunet. « Il y a à ce niveau-là un impact certain, croit-il. Il va falloir davantage d’indulgence de la part des professeurs. »

Cela ne va d’ailleurs pas uniquement concerner les étudiants touchés par la mort d’un être cher. « Il faut étudier et je n’ai pas la concentration pour, c’est impossible de ne pas réfléchir à ça », dit Pauline. Malgré tout, l’étudiante croit que la douleur serait peut-être plus difficile à gérer en étant sur les lieux des attentats. « Ici, on parle beaucoup de ces événements, mais il y a d’autres choses aussi », souligne-t-elle.

En dépit de l’épreuve qu’il traverse, Alexis-Michel dit avoir senti et apprécié le soutien de la communauté universitaire et de l’association étudiante de criminologie dont il fait partie. « Les gens sont très encadrants, […] mes enseignants ont eu des mots adorables, pointe-t-il. Je me sens extrêmement chanceux dans mon malheur. »

Pour M. Brunet, ces événements constituent le moment idéal pour exprimer sa solidarité. « Dans des moments difficiles, les gens aiment se retrouver pour se consoler, s’aider, s’offrir une forme de soutien social, dit-il. Les gens ont besoin de faire quelque chose, ils ont besoin de commémorer un événement. » Pour le professeur, cela peut se concrétiser en des actions purement symboliques telles que se recueillir, rencontrer ses compatriotes ou dire aux gens qu’on les aime.

*liste non exhaustive Précision : Pour cet article, Quartier Libre a lancé un appel à tous les étudiants de l’UdeM dont le pays d’origine a été récemment touché par des attentats. Seules les communautés française et libanaise ont répondu.

 

Un « traumatisme »?

De nombreux médias utilisent le terme de « traumatisme pour les citoyens », ou l’adjectif « traumatis-é-es » pour qualifier le choc ressenti par certains à la suite de ces attentats. La formulation est-elle juste?

Réponse de M. Alain Brunet : « C’est faux, les gens ne sont pas tous traumatisés. Pour être traumatisé, il faut avoir été confronté à la mort. Cela implique une confrontation brutale avec notre propre mort, notre finitude, qui remet en question notre sentiment d’invulnérabilité. On vit notre vie comme si on était éternels. Quelqu’un qui a été traumatisé s’est fait rappeler qu’il était mortel. Il devrait être de l’autre côté du miroir, et pour une raison incroyable qui relève presque du miracle, il est toujours là. Cela peut concerner à la limite les proches d’une victime, s’ils ont été confrontés à toutes sortes de détails sordides sur sa mort. On peut voir dans certains de ces cas des stress post-traumatiques. »

Pour le spécialiste, le terme peut-être utilisé comme une métaphore, mais il n’est pas correct au sens médical.

Partager cet article