Dans un récent article paru dans La Presse, le critique de cinéma Marc-André Lussier dresse un bilan très clair de la situation du film français au Québec : « Alors que la production des films français est plus fructueuse que jamais (258 longs métrages ont été produits dans l’Hexagone l’an dernier), à peine moins du tiers arrive désormais sur nos rives (83 films français au Québec en 2014). En clair, cela veut dire que bon nombre des films sélectionnés maintenant par Cinemania – la programmation est désormais composée de primeurs exclusivement – ne sortiront jamais en salle chez nous. Et 12 des 35 longs métrages présentés au festival l’an dernier sont restés orphelins de distributeur. »
Évidemment, les distributeurs québécois ont une certaine part de responsabilité. Le problème est qu’ils ne possèdent pas tous le même portefeuille pour acquérir des productions françaises. Ils ont aussi d’autres œuvres provenant d’ailleurs à faire découvrir. La notion de choix s’impose alors.
Un aussi gros joueur que Les Films Séville, affilié à Entertainment One, une société de production qui monopolise une grosse partie du marché au Canada, ne devrait-il pas créer une filiale parallèle qui se spécialise, par exemple, dans les productions étrangères ? D’autant plus que, par le passé, Entertainment One a été une référence en matière d’acquisition de films internationaux.
Publicité et financement
Dans une lettre parue dans Le Devoir le 10 avril 2012, le président du Festival des Films du Monde, Serge Losique, dressait déjà la liste des principales raisons qui, selon lui, expliquent le déclin du cinéma français dans les salles de la province. Il précisait surtout le désir de rentabilité de certains distributeurs.
M. Losique abordait aussi deux pistes particulièrement intéressantes dans cette affaire : le financement et la publicité. Il mentionnait notamment un système d’aide développé dans les années 1990 par la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) du gouvernement québécois et Unifrance, un organisme chargé de l’exportation des films français à l’échelle mondiale. Celui-ci avait pour objectif de soutenir la promotion du cinéma français au Québec. Mais le manque d’efforts d’Unifrance pour faire la promotion de ses films au Québec aurait finalement eu raison de cette entente, qui a pris fin en 2011, rapportait M. Losique, qui soulignait également l’importance de la recette publicitaire dans la production et diffusion cinématographique. Or, le battage publicitaire aurait été délaissé dans le cinéma français, chose qui lui a été fatal, selon le cinéphile.
L’appui du gouvernement québécois aurait sans doute pu aider le cinéma français à ne pas chuter à ce point dans la province. Quant à Unifrance, son rôle consistait à rendre plus visible ses films, notamment en passant par une machine promotionnelle adaptée face au géant américain. Ce fut un échec.
Se faire une place
Encore plusieurs données échappent aux distributeurs, aux propriétaires de salles et aux producteurs. D’abord, le caractère à jamais imprévisible de la notoriété d’un film qui se fera, ou non, une longue place sur les écrans. Ensuite, la différence entre la France et le Québec quant à la manière même de calculer le succès d’un film en salles : ce sont les entrées qui sont comptabilisées outre-Atlantique tandis qu’au Québec, les recettes sont comptées.
Il a été une époque aussi où les vedettes traversaient l’Atlantique pour promouvoir un long métrage. « Le cinéma français se porterait beaucoup mieux au Québec si les vedettes françaises acceptaient plus souvent de venir chez nous. La réalité, c’est qu’au moins 90% des recettes qu’engendrent les films français au box-office canadien proviennent du Québec. Je comprends très bien pourquoi les vedettes n’hésitent pas à aller au TIFF, mais il faudrait aussi se préoccuper davantage du marché québécois », affirme d’ailleurs le président des Films Séville Patrick Roy, en entrevue avec La Presse.
Mais est-ce parce qu’ils n’ont pas été fructueux que tous ces moyens mis en place au fil des années pour valoriser le cinéma français ont été, peu à peu, abandonnés ? Ou est-ce plutôt l’industrie cinématographique qui a fini par privilégier les films à grands succès – ces fameux blockbusters – emmenant son public avec lui à délaisser ce cinéma ?
Du côté des grands distributeurs comme Films Séville, rien n’est moins sûr. Son directeur l’affirme : il faut des films « ayant un bon potentiel commercial, qui peuvent performer au box-office ».
Toutefois, il subsiste des passionnés, comme Axia Films. Troisième distributeur de films français en importance au Québec, cette petite société est indépendante et ne compte que cinq employés. Malgré le contexte difficile, le directeur Armand Lafond estime qu’il y a encore assez d’amateurs de cinéma français dans la province pour maintenir le cap. « Abderrahmane Sissako tenait à ce que Timbuktu soit distribué par Axia au Québec. C’est dire qu’on travaille encore avec des individus et cela nous permet de bien soutenir les films qu’on aime. Parce qu’on y croit encore », explique-t-il dans son entrevue avec La Presse.
En attendant, le festival Cinemania permettra de voir une bonne dose de films français sur grand écran durant dix jours. Des vedettes font aussi le déplacement, comme Julie Gayet et François Fabian. De quoi recréer un peu le lien affectif ?