« Même s’il y a des conférences ou des bureaux d’information sur les différents partis à l’Université, je ne m’y rends pas, la politique ne m’intéresse pas et je ne connais pas vraiment ça de toute manière », affirme l’étudiante au baccalauréat en enseignement des sciences et des technologies au secondaire Sophie Marois.
Pour expliquer ce désintérêt, le chargé de cours au Département de science politique Martin Carrier évoque un « cynisme politique » très répandu dans la société canadienne. « Bien que ce sentiment touche tous les groupes d’âge, les jeunes sont tout de même moins enclins à aller voter que leurs aînés, car ils ne sont pas informés de l’actualité politique, ils ne s’y intéressent pas et ils sont trop occupés pour le faire », explique-t-il.
Selon le président du Forum jeunesse du Bloc Québécois, Louis-Philippe Sauvé, les jeunes se sentent aussi moins interpellés par la politique. « Historiquement, il y a toujours eu moins de participation au niveau des élections fédérales qu’au niveau du provincial, rappelle-t-il. Mais c’est surtout un problème générationnel, c’est une tendance depuis 50 ans et la baisse continue. »
Pour sa part, Sophie Marois admet avoir d’autres préoccupations. « Avec l’école et la natation, je ne m’intéresse pas vraiment à la campagne électorale, souligne-t-elle. Je voterai sans doute pour le même candidat que mes parents, car ils sont mieux informés que moi sur l’actualité et la politique. »
M. Carrier pense également que les enjeux électoraux fédéraux touchent parfois moins les jeunes. « Par exemple, l’éducation est un pouvoir provincial et les étudiants peuvent être moins intéressés par le reste de la campagne qui aborde des thématiques qui ne les préoccupent pas encore », précise-t-il.
Plus difficile de parler aux jeunes ?
Les modifications de la loi électorale adoptées par Ottawa rendent l’accès au vote plus contraignant pour les jeunes électeurs, notamment pour ceux qui étudient loin de leur domicile familial, selon les partis d’opposition. Cette législation oblige les Canadiens à fournir une carte délivrée par le gouvernement provincial, comme un permis de conduire. « Le gouvernement force, dans certains cas, les étudiants à voter dans le comté électoral de leurs parents, assure le chef adjoint du Parti vert du Canada, Daniel Green. La démocratie de proximité est, au contraire, qu’un électeur soit représenté là où il habite. »
L’étudiant en génie chimique à Polytechnique Montréal Olivier Girard est originaire du Lac-Saint-Jean et ne compte pas retourner dans sa région cet automne pour se rendre aux urnes. « Bien que je sois informé et intéressé par la campagne, mon opinion ne sera pas prise en compte, car je n’aurai pas la possibilité de m’exprimer, dit-il. Il serait plus démocratique d’offrir cette possibilité à tous. »**
Selon M. Sauvé, la modification dans le mandat du directeur général des élections du Canada (DGEC) rend aussi la tâche plus difficile aux partis. « Avant, le DGEC faisait de la publicité auprès des jeunes pour qu’ils aillent voter, rapporte-t-il. Maintenant, c’est aux partis politiques de faire cette promotion et c’est problématique car il y a des limites à notre visibilité. Comment faire pour être vus des jeunes qui ne sont pas étudiants par exemple ? »
Cibler les étudiant
M. Carrier soutient toutefois qu’il demeure important de développer une base électorale jeune. « Une fois intéressés à la politique, les électeurs se mobilisent et peuvent rester attachés au parti pour lequel ils ont voté la première fois pendant une longue période », souligne-t-il.
Les partis se déplacent sur les campus pour présenter leur programme et faire participer les étudiants à des débats. « Nous avons produit une fiche informant les jeunes sur la manière de voter lors des prochaines élections, précise le coprésident des Jeunes néo-démocrates du Québec (JNDQ) Étienne Gratton. Cette fiche sera distribuée sur tous les campus où un club de notre aile jeunesse existe, soit dans une dizaine d’établissements. »
Chaque parti a sa méthode, comme les conférences, les kiosques ou les médias sociaux. « Nous faisons campagne sur les campus en distribuant des dépliants décrivant les positions libérales qui touchent les jeunes, explique la présidente des Jeunes libéraux du Canada, Marie-Pascale Des Rosiers. Nous avons des clubs libéraux dans une centaine d’institutions scolaires au Canada où les membres organisent des débats et événements sociaux avec les candidats locaux. »
Des visages jeunes
M. Gratton souligne qu’une dizaine de jeunes candidats sont nommés pour le NPD. « Au NPD, ce sont les membres des associations locales qui choisissent leur candidat, rapporte-t-il. Dans cette optique, les JNDQ se sont donnés pour mission d’encourager la nomination du plus grand nombre de jeunes candidats possible. »
Quant à ceux qui évoquent le manque de connaissances ou de maturité d’un trop jeune candidat, M. Green a trouvé sa réponse. « Du sang nouveau, de l’enthousiasme, pas de mauvais plis, de l’aplomb et une bonne réflexion, voici mes arguments pour démontrer que le vote jeune a toute sa place en politique », revendique-t-il.
M. Carrier entrevoit quant à lui deux scénarios : « Les élections d’octobre sont contestées, notamment pour la durée de la campagne, indique-t-il. Cela déclenchera peut-être un boycottage de la part de certains jeunes ou, au contraire, l’usure du pouvoir et le long règne des conservateurs inciteront les jeunes à vouloir faire bouger les choses. »
Chaque groupe détient ses arguments économiques, environnementaux et sociaux pour convaincre les jeunes. « Nous souhaitons mettre en place le Conseil consultatif jeunesse du premier ministre et faire de l’emploi des jeunes une priorité », rapporte Mme Des Rosiers. En attendant le 19 octobre, ICI Radio-Canada a lancé le 9 septembre le projet #1ervote sur Instagram. Les premiers votants peuvent y faire part des préoccupations qui les touchent et y poser leurs questions. Les candidats peuvent répondre sur le média social.
*Source : Élections Canada
Précision
Le Parti conservateur ne possède pas d’aile jeunesse au Canada. « Nous avons comme philosophie d’engager les jeunes comme membres à part entière. Aussi, nous ne croyons pas que garder les jeunes dans une aile séparée est une bonne façon de valoriser leur implication dans le parti. Nous avons donc plusieurs candidats âgés de moins de 30 ans », explique Jean-Philippe Fournier du groupe Conservateurs UdeM.
« Trop de fois, nous avons vu un chef de parti contredire publiquement une aile jeunesse, ajoute Pierre-Olivier Campagna du groupe Conservateurs UdeM. Au Parti conservateur, les propositions des jeunes sont tout de suite soumises au vrai vote. »
** Avec le projet-pilote mené par Élections Canada,
Olivier pourra toutefois voter sur le campus.