Le bonheur des uns fait le malheur des autres…

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Par David Fillion
jeudi 10 février 2022
Le bonheur des uns fait le malheur des autres...
La communauté étudiante était de retour sur le campus le 31 janvier dernier. Crédit photo : Mathis Harpham.
La communauté étudiante était de retour sur le campus le 31 janvier dernier. Crédit photo : Mathis Harpham.
Le 21 janvier dernier, l’UdeM a confirmé que les activités d’enseignement et de recherche reprendraient sur le campus à partir du 31 janvier. Ce retour n’était toutefois pas la solution attendue par toute la communauté : des pétitions circulent pour demander à l’Université de ne pas cesser l’enseignement à distance.
«J’aimerais qu’on puisse permettre aux universitaires de décider de se présenter ou non aux cours.»
Zoé Pronovost, étudiante à la deuxième année au baccalauréat en éducation préscolaire et enseignement primaire.

Bien que le retour sur le campus ait été accueilli avec une fébrilité généralisée lors de la session d’automne, celle d’hiver a commencé d’un pas complètement différent. Enseignement à distance, horaires des services du campus modulés, un couvre-feu quelque temps et de nouvelles restrictions gouvernementales. Pendant un mois, la communauté étudiante de l’UdeM n’a pas eu la même liberté que celle dont elle a joui à la rentrée de septembre.

Toutefois, cette « liberté » de suivre des cours en présentiel à 100 % n’est pas celle qui devrait être envisagée aux yeux de tous et toutes. « Un très grand nombre d’élèves ne se sentent pas en sécurité [vis-à-vis de la COVID-19], mentionne l’étudiante en deuxième année au baccalauréat en éducation préscolaire et enseignement primaire Zoé Pronovost. Nous demandons à être écoutés. »

Le 13 janvier dernier, afin de s’opposer au potentiel retour obligatoire des activités d’enseignement et de recherche sur le campus, lequel n’était alors pas encore confirmé, l’étudiante a lancé une pétition intitulée « Offrez-nous un mode comodale (sic) jusqu’à la fin de la session d’hiver 2022 ».

Selon ses dires, cette pétition ne vise pas à s’opposer à tout retour en présentiel sur le campus, elle plaide plutôt pour une offre de cours multimodaux (ou comodaux), soit donnés à même le campus, mais diffusés simultanément en ligne. En date du 1er février, la pétition comptait plus de 2 300 signatures.

Selon Zoé Pronovost, l’un des rôles de l’Université est de protéger la communauté étudiante. « Je crois que le fait de permettre l’enseignement en ligne faciliterait énormément la vie de plusieurs personnes, explique-t-elle. Personnellement, j’ai une santé très fragile. Je tombe malade très rapidement […]. J’aimerais qu’on puisse permettre aux universitaires de décider de se présenter ou non aux cours. Je crois que l’option des cours multimodaux est la meilleure pour tous. Comment pouvons-nous respecter une distanciation sociale lorsque nous sommes collés les uns contre les autres dans des classes trop petites ? »

La porte-parole de l’UdeM, Geneviève O’Meara, précise que l’Université a connaissance des pétitions en cours. « [Les] décisions et les mesures sanitaires sont élaborées pour assurer la sécurité de tous, insiste-t-elle. La situation est évaluée chaque semaine par notre comité. Les décisions sont prises en tenant compte des directives du gouvernement, de la santé publique et de la situation, en plus de nos réalités d’enseignement et de recherche. »

Zoé Pronovost, étudiante en deuxième année au baccalauréat en éducation préscolaire et enseignement primaire. Courtoisie Zoé Pronovost.

Une consultation demandée

Bien que le gouvernement du Québec ait donné le feu vert aux universités pour rouvrir leurs campus dès le 17 janvier dernier, l’UdeM a pris la décision d’attendre jusqu’à la date butoir préalablement annoncée, soit le 31 janvier. À noter que l’Université ne donne pas son accord à toutes les activités. « Nous voulons laisser la priorité sur les campus aux activités d’enseignement et de recherche, détaille Mme O’Meara. Nous y allons donc par étapes, comme nous l’avions fait à l’automne. » Ainsi, des événements tels que les colloques, les activités organisées par les associations étudiantes ou par les groupes étudiants, ou encore les midis-conférences n’ont pas repris fin janvier.

Aux yeux de Zoé Pronovost, cette décision n’aurait pas dû exclure la parole étudiante. « Je crois que nous méritons d’être consultés lors des décisions qui changent notre mode de vie ou notre mode d’enseignement, estime-t-elle. Nous ne sommes que très rarement consultés. Je suis déçue de cette décision. »

Interrogée à ce sujet, Mme O’Meara rappelle que l’UdeM n’est pas une université à distance et répond que la direction entend les différentes opinions de la communauté. « Le vice-rectorat aux affaires étudiantes et aux études est en lien avec la FAÉCUM, les facultés et leurs associations, assure-t-elle. Alors que certaines personnes craignent le retour en présentiel, beaucoup insistent sur le fait que le retour est bénéfique et sont enthousiastes face à celui-ci. »

L’étudiante au baccalauréat bidisciplinaire en psychologie et sociologie Alexandra Beauséjour Villemaire dit comprendre la réticence de certaines étudiantes et de certains étudiants à revenir en présentiel. Néanmoins, le retour sur le campus est nécessaire à ses yeux. « Je n’ai pas un environnement adapté aux études et j’ai plusieurs troubles d’apprentissage, explique-t-elle. Mes notes obtenues pour des cours suivis en ligne, comparativement à celles obtenues pour des cours suivis en présentiel, ne sont pas comparables. Ainsi, je considère qu’il est essentiel de permettre à la communauté étudiante de bénéficier pleinement d’un enseignement en présentiel. »

Quant à l’étudiant au baccalauréat en géographie environnementale Francis Robindaine-Duchesne, il estime que les cours multimodaux pourraient être avantageux sur certains points, mais qu’ils comportent leur lot de problèmes. « Il me semble qu’on vient à perdre quelque chose avec l’enseignement en ligne, résume-t-il. J’ai l’impression que [l’enseignement multimodal] créerait deux classes d’étudiants, avec deux expériences universitaires complètement différentes. Il y a quelque chose de magique à finir un travail de session la nuit à la Bibliothèque des lettres et sciences humaines, de prendre des notes sur papier et de remettre un travail imprimé en main propre à nos professeurs. »

S’adapter selon les cours

Selon Zoé Pronovost, l’UdeM a en tout cas les moyens et les outils pour offrir la possibilité de cours multimodaux à l’ensemble de la communauté. « Les classes sont déjà adaptées pour cela, déclare-t-elle. Les cours qui sont théoriques pourraient être offerts à distance aux élèves qui le désirent. Ceux qui veulent se déplacer devraient pouvoir le faire et suivre le cours [sur le campus], mais ceux qui ne se sentent pas en sécurité devraient pouvoir avoir le droit d’assister à leurs cours à la maison. »

L’étudiante et les plus de 2 300 signataires de sa pétition ne sont d’ailleurs pas les seuls membres de la communauté universitaire à faire cette demande. Démarrée le 22 janvier dernier par l’étudiante au baccalauréat en philosophie Alexandra Messier, la pétition « UdeM – En faveur de l’enseignement à distance » cumulait plus de 1 800 signatures, en date du 1er février.

Alexandra Messier soulève un espoir similaire à celui de Zoé Pronovost : que la communauté étudiante soit entendue. « Je pense que si on se fait entendre, on va être considéré, mais je pense qu’à la base, l’Université a tenu pour acquis que tout le monde voulait retourner en présentiel, mentionne-t-elle. En même temps, ça a du sens, tout le monde espère un retour à la normale. »

L’étudiante en philosophie reste surprise de voir à quel point sa pétition a pris de l’ampleur. Elle avait espoir d’être entendue, mais ne pensait pas être soutenue à ce point. « Maintenant que j’ai autant de signatures, je ressens comme une certaine responsabilité envers ça, poursuit-elle. Je me dis que d’autres personnes veulent se faire entendre aussi, et comme c’est moi qui ai lancé la pétition, je me sens un peu responsable de ces voix-là ». Comme Zoé Pronovost, Alexandra Messier n’a qu’une demande : « Ce que j’espère, c’est qu’un mode multimodal soit instauré. »

L’étudiante en dernière année au baccalauréat en philosophie Alexandra Messier pense que si la communauté étudiante se fait entendre, elle sera considérée. Crédit photo : Mathis Harpham.

Un fardeau pour le corps professoral ?

Cette visée n’est toutefois pas l’objectif commun de tous et toutes. « L’Université devrait plutôt mettre en place des programmes en ligne et des programmes en présentiel pour les cours plus théoriques, résume Alexandra Beauséjour Villemaire. Par exemple, un même cours pourrait être offert à l’automne, en présentiel, et à l’hiver, en ligne. Ainsi, la communauté étudiante aurait le choix de l’option qui lui convient le mieux, sans pénaliser un groupe en particulier. »

Contrairement aux deux instigatrices des pétitions, Alexandra Beauséjour Villemaire estime qu’offrir des cours multimodaux ajouterait un surplus de tâches au corps professoral. « Je pense qu’encore une fois, les désavantages retombent sur les professeurs qui doivent ainsi se « séparer en deux » pour enseigner en multimodal », déplore-t-elle.

« Il me semble complètement irréaliste d’exiger des enseignants qu’ils offrent un enseignement comodal lors du retour en classe, estime le directeur des Services de soutien à l’enseignement et professeur au Département de psychopédagogie et d’andragogie de l’Université de Montréal Bruno Poellhuber, interrogé peu avant le 31 janvier. D’une part, parce que la grande majorité d’entre eux ne disposeront pas des équipements adéquats pour faire de l’enseignement comodal de qualité, et d’autre part, parce que ça nécessite une maîtrise des outils technologiques et d’une gestion de classe qu’ils ne possèdent probablement pas. » Le professeur précise que la planification d’un cours comodal ne se fait pas comme la planification d’un cours en présence. « Il faut y consacrer du temps et voir comment on va contrer le désavantage psychologique de ceux qui participent à distance, en prévoyant des moyens pour les engager davantage. »

L’UdeM mise sur l’hybride

Pour le trimestre d’hiver 2022, 19 % des étudiants auront, quoi qu’il en soit, au moins un cours en mode hybride, alors que 22 % d’entre eux auront au moins un cours à distance, souligne la porte-parole de l’UdeM. « Pour nous, les cours offerts en hybride à l’heure actuelle ne sont pas des accommodements dus à la pandémie, mais plutôt des innovations pédagogiques qui intègrent de manière optimale les outils technologiques pour favoriser l’apprentissage, détaille-t-elle. Il peut s’agir d’une grande variété de choses, de quelques heures à distance à des séquences très structurées alternant distance et présence. L’idée, c’est de maximiser la valeur des interactions en classe, d’identifier clairement les meilleurs formats pour chaque élément de l’apprentissage. Cela était déjà commencé avant la pandémie. Les deux dernières années nous auront permis de consolider certaines choses. Il faut y voir un effet positif. »

Les demandes de la communauté étudiante de l’UdeM ne sont pas les seules qui se font entendre dans la Belle Province. À l’Université McGill, un mandat de grève étudiante a été soutenu par les étudiants et étudiantes en droit ainsi que ceux et celles de la Faculté de l’éducation. Le mandat est prévu pour durer jusqu’au 21 février. À l’Université Concordia, une partie de la communauté étudiante demande que tout le contenu enseigné sur le campus soit enregistré, ou diffusé en simultané.

 

DÉFINITIONS DES MODES D’ENSEIGNEMENT

COURS À DISTANCE

Enseignement entièrement à distance. En mode synchrone ou asynchrone.

COURS HYBRIDE

Formule qui propose de l’enseignement combinant, en proportion variable, des activités d’enseignement en présence des étudiants et étudiantes sur le campus, ainsi que des activités de formation à distance.

COURS EN PRÉSENTIEL

Cours qui propose seulement des activités d’enseignement offertes en présence des étudiants et étudiantes sur le campus ou dans les milieux de stage. La présence est requise.

COURS MULTIMODAL (OU COMODAL)

Cours qui propose des activités d’enseignement offertes en présence d’une partie du groupe alors que l’autre partie du groupe est à distance.