Titre Manquant

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Par Anne-Sophie.Carpentier
vendredi 4 février 2011
Titre Manquant

Tartare, la troisième pièce de Mandala Sitù, propose une descente froide et violente dans les basfonds de la féminité. Véritable salle de torture scénique, trois danseuses mettent leur corps à rude épreuve dans la chorégraphie physique de Manon Oligny.

Les enfers mythologiques pourraient en effet ressembler à la proposition présentée hier soir au Théâtre La Chapelle. Dans une dépense d’énergie folle et désespérée, les interprètes exécutent des sauts, des chutes, sont pris d’hyperventilation et se lancent avec fracas sur les murs, heureusement recouverts de minces matelas noirs, pour ensuite s’écrouler d’épuisement. Le sol est couvert de perruques de femmes, comme le symbole obscur de leur faute, de leur désir et d’un érotisme masochiste.

Des sangles ornées de bijoux descendent du plafond et transforment les trois femmes en chiennes attachées par le cou, accroupies et soumises. À quatre pattes, elles exécutent des mouvements convulsés et bestiaux, rythmés par des aboiements. Vient ensuite l’épilateur électrique, machine bruyante que les interprètes font glisser sur tous les recoins de leur corps.

Une ronde cyclique empreinte d’animalité et de violence s’installe. Les interprètes gémissent comme des chiennes, des poules, des lionnes et des vaches. Jamais elles ne sont ensemble. Jamais elles ne se regardent. Leurs cheveux longs volent autour de leur tête. Leurs corps mécaniques font de la vitesse jusqu’au débordement. Toujours seules et affolées, leurs yeux pleurent du mascara sur leurs joues. Elles se plient et se contorsionnent. Leur corps semble soumis à un érotisme dévorant qui les mutile et les obsède.

Pourquoi infliger tant de souffrance au corps? Qu’en est-il du pauvre corps des interprètes? La chorégraphie ultraphysique d’Oligny met en danger et pousse à leur limite les corps des interprètes. Entre autres, dans un des segments, une des danseuses se frappe de manière répétitive les jambes au sol. Elle le fait avec une telle force et avec tant d’abandon qu’elle crée un malaise et se met en danger. Elle met en danger son propre corps, ses propres articulations qui la suivront hors de la salle de spectacle. La chorégraphe semble s’éloigner de la danse et de la représentation pour plonger du côté de la performance par la porte du risque corporel et de l’épuisement physique.

Ce parti pris de la souffrance physique pousse à l’extrême l’exploration des zones obscures de la féminité, abordées récemment par Oligny dans le spectacle Icône à vendre. L’interprétation viscérale et cardiaque des danseuses de Mandala Sitù mérite des éloges. Toutefois, la proposition radicale et bien menée par Oligny n’en reste pas moins désagréable, marquée par un refus brutal d’entrer en contact avec le public.

Tartare, présentée par Mandala Sitù au Théâtre La Chapelle jusqu’au 5 février.