À la recherche de stratégies pouvant aider les victimes potentielles de violences sexuelles, la professeure au Département de psychologie, Isabelle Daigneault, aimerait implanter le programme éducatif féministe nommé BÉRA sur le campus.
BÉRA est un atelier, réparti sur douze heures et en quatre modules, qui encourage notamment les discussions, vise à déconstruire les mythes autour de l’agression sexuelle, propose des stratégies pour mieux identifier les agresseurs, invite les participantes à verbaliser des répliques possibles face à la persistance d’un agresseur potentiel, énumère la professeure. Le wendo, un art martial d’autodéfense, y est également enseigné.
La pratique au cœur du programme
Si ce programme a fait ses preuves, c’est parce qu’il offre aux participantes une démarche expérientielle unique, explique Mme Daigneault. « Le programme ne se résume pas juste à transmettre des connaissances, ça devient une expérience, insiste-t-elle. Les femmes doivent s’entraîner à agir d’une certaine manière face à différentes situations. » La professeure affirme que cela devrait permettre aux femmes de reproduire plus facilement les gestes adéquats au moment opportun.
Contrairement à un dépliant informatif dont la lecture prend quelques minutes, la durée et l’approche des ateliers auraient des effets plus durables, relate Mme Daigneault. Des études démontrent que les bienfaits du programme influeraient les participantes âgées de 17 à 24 ans, même plus d’un an après avoir suivi les ateliers. Ces résultats sont intéressants, selon elle, d’autant plus que les ateliers visent la catégorie d’âge la plus à risque de subir ce type d’agression.
« Moi, comme étudiante, j’aurais bien aimé avoir eu accès à ce genre de formation, signale-t-elle. Et même à mon âge, j’ai appris. Je suis allée me former et des choses ont changé dans ma perspective. »
Évalué scientifiquement
Mme Daigneault s’est penchée sur l’évaluation et l’analyse comparative de programmes de prévention canadiens et considère que BÉRA se démarque du lot. Proposé en Ontario, notamment à l’Université de Windsor depuis plus de 10 ans, ce programme est sans aucun doute le plus efficace qui soit actuellement, selon ses observations. « Aucun autre programme évalué rigoureusement ne prévient la violence sexuelle à l’endroit des femmes adultes, qu’il s’agisse de violence dans leurs relations amoureuses ou autre, avance-t-elle. De plus, les stratégies éducatives (utilisées lors des ateliers) sont également basées sur des données scientifiques. » D’après la chercheure, il suffit que 13 femmes participent pour prévenir l’occurrence d’au moins une des cinq formes d’agressions documentées dans l’étude (agression sexuelle, tentative d’agression sexuelle, coercition sexuelle, tentative de coercition sexuelle et contact sexuel non consensuel) au cours de l’année suivant le programme2.
BÉRA émerge après 50 ans de recherche et de militantisme féministe. D’après Mme Daigneault, il s’inspire, entre autres, de mouvements qui se sont déployés aux États-Unis dans les années 1970 et qui ont donné naissance à des Rape Crisis Centres ainsi qu’au mouvement Take Back the Night. Ces ressources existent encore à l’heure actuelle et visent à offrir un espace de réconfort et à donner une voix aux femmes victimes d’agressions.
Feu vert de l’UdeM
Si Mme Daigneault espère voir le programme arriver à l’automne 2020, c’est à l’UdeM que revient la décision de donner le feu vert à ce projet. La directrice du Bureau d’intervention en matière de harcèlement (BIMH) de l’Université, Isabelle Chagnon, a d’ailleurs confirmé que le programme BÉRA verra le jour d’ici un an. « Nous sommes vraiment prêts à essayer, s’est-elle exclamée. On est prêt à s’engager et à faire en sorte que ça fonctionne. » Un budget devra d’ailleurs être alloué à l’Université pour former, comme prescrit par le programme, des jeunes femmes de moins de 30 ans afin d’animer les ateliers.
En 2017 et 2018, le BIMH a mené 313 interventions liées au harcèlement psychologique, sexuel ou criminel. Avec la nouvelle politique visant à prévenir et à combattre les inconduites et les violences à caractère sexuel, adoptée par l’UdeM le 1er août dernier, la directrice s’attend à une augmentation de cas qui seront rapportés. « Cette nouvelle orientation de l’Université est claire par rapport à la tolérance zéro des violences à caractère sexuel, insiste-t-elle. Ainsi, je crois que les gens vont se sentir plus à l’aise de dénoncer. »
La place des hommes
Si le programme BÉRA semble prometteur aux yeux de Mme Daigneault, cette dernière reconnaît toutefois qu’une université devrait assurer une diversification des services.
« Je ne suggérerai pas à un campus d’uniquement offrir BÉRA, signale-t-elle. Ce programme doit être intégré dans une programmation plus large. » En développant éventuellement des interventions ciblant davantage les hommes, pense la professeure.
Cet élément ne fait pas partie des plans actuels du BIMH. « Nous avons discuté de la réflexion que nous devons avoir par rapport à un programme qui s’adresserait aux hommes, mais pour l’instant, il n’y a rien de concret », a avoué Mme Chagnon. Elle a tenu à rappeler, en revanche, que toutes les activités offertes actuellement accueillent tout le monde, peu importe le genre.
1. Cette politique a été adoptée conformément au projet de loi no 151 qui impose aux universités et aux cégeps du Québec de se munir d’une loi spécialement dédiée à ce type de violences.
2. Senn, C. Y., Eliasziw, M., Barata, P. C., Thurston, W. E., Newby-Clark, I. R., Radtke, H. L., & Hobden, K. L. (2015). Efficacy of a sexual assault resistance program for university women. New England journal of medicine, 372(24), 2326-2335. https://doi.org/10.1056/NEJMsa1411131