C’était si triste, lorsque la pièce Le Pillowman s’est achevée. Deux heures clouée sur mon siège et je n’ai pas cillé. L’impeccable performance des comédiens s’est terminée et je suis restée là, prise entre un double imaginaire et la réalité. Les ovations se multipliaient et j’étais arrachée d’un univers qui m’avait conquise. La pièce aurait pu encore s’éterniser, ou mieux, recommencer, et je n’aurais jamais vu le temps passer. C’était si triste que ce soit déjà terminé.
Le Pillowman, texte de Martin McDonagh mis en scène par Denis Bernard, mène son public dans une salle d’interrogatoire d’un État totalitaire. Deux policiers hauts gradés cuisinent Katurian, un homme dont la vie se résume, par ordre d’importance, à l’écriture, un frère un peu cinglé («Il est juste un peu lent», insiste Katurian) et son travail dans un abattoir.
Katurian a quelque 400 histoires à son actif et la presque entièreté de son œuvre concerne des enfants violentés ou assassinés, ce qui fait dire à Tupolski, le plus posé des deux policiers, que Katurian a la tête «pleine de marde». Ses histoires font aussi croire aux deux détectives que Katurian n’est pas étranger aux meurtres de deux enfants et à la disparition d’un troisième. Les soupçons pèsent lourd sur Katurian et son frère Michal, mais Katurian insiste: l’écriture, c’est sa vie, mais ses histoires ne comportent aucun message, ni politique, ni social, rien. Katurian rajoute: il n’a rien à voir dans rien. Tout ce qui l’intéresse, ce sont ses histoires et son frère Michal. De toute façon, son seul public étant Michal, il ne voit donc pas comment ses histoires pourraient avoir poussé qui que ce soit à tuer des enfants. Les détectives Tupolski et Ariel ne sont évidemment pas convaincus.
Katurian est amené à plusieurs reprises à lire ses contes morbides et chaque fois, c’est un enchantement. La première fois, devant Tupolski, qui l’oblige à se lever, il dit avoir l’impression d’être à l’école. «Oui, sauf qu’à l’école ils ne te tuent pas à la fin. À moins que tu ne sois allé à une école sévère en sacrament!», lui répond le détective.
La beauté de Pillowman réside dans ses personnages, profondément humains, authentiques, fragiles et nuancés. Revisitée, l’enfance de Katurian explique ses thématiques littéraires tordues. À terme, tous les personnages révèlent avoir eu une enfance problématique. Tupolski en a marre d’entendre autant son collègue que l’accusé justifier leurs actes par des blessures de leur enfance. «Moi, mon père était un violent alcoolique!, gueule-t-il. Est-ce que je suis un violent alcoolique?», laisse-t-il planer, pour finalement répondre, excédé, que oui, mais qu’il a fait ses choix lui-même et qu’il les assume.
Le Pillowman est une pièce littéralement remplie de surprises et d’émotions, que ce soit dans le ton des personnages, le rythme de la pièce et des histoires de Katurian, et l’utilisation judicieuse des décors. Une grande production du Théâtre de la Manufacture, qui présentait cette pièce en français pour une deuxième fois.
Au Théâtre du Rideau Vert du 11 au 22 janvier 2011
Texte: Martin McDonagh
Traduction: Fanny Britt
Mise en scène: Denis Bernard
Avec Antoine Bertrand, Frédéric Blanchette, David Boutin, Daniel Gadouas et Audrey Rancourt-Lessard