Titre Manquant

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Par Administrateur
mercredi 24 novembre 2010
Titre Manquant

Les Rencontres internationales du documentaire de Montréal sont l’occasion de découvrir des réalités souvent oubliées. Combat des femmes en Inde et en Égypte, réalisateurs américains sans scrupules, renaissance de Détroit en ville d’artistes : voici l’actualité internationale telle que vue à travers six films présentés cette année.

RUSSIE: Où est Andreï Nekrasov?

Lors de la présentation du film Russian Lessons, Andreï Nekrasov, coréalisateur du documentaire avec son épouse Olga Konskaya, brillait par son absence. « Monsieur Nekrasov devait être avec nous aujourd’hui, mais malheureusement il a été arrêté en Russie.» Les organisateurs du RIDM n’avaient pas plus d’informations à ce sujet, mais voici ce que Frédérick Lavoie, journaliste québécois établi à Moscou, a pu recueillir. « Il a en effet été arrêté le 31 octobre à Saint-Pétersbourg lors de la manif non autorisée, comme d’habitude, pour la défense de l’article 31 de la Constitution qui… assure le droit aux citoyens de manifester librement. À Moscou, dans le vide arbitraire du changement d’administration municipale, la manif avait d’abord été autorisée, mais pas à Saint-Pétersbourg et dans les autres villes. » Il était impossible au moment de mettre sous presse de savoir si le réalisateur avait été libéré, mais Frédérick Lavoie estime qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. « Les opposants se font toujours arrêter et libérer.»

Il faut dire qu’Andreï Nekrasov est une épine au pied du pouvoir russe. Rebellion : The Litvinenko Case, un documentaire paru en 2007, présente des entrevues avec l’espion russe Alexander Litvinenko et la journaliste Anna Politkovskaïa, tous deux présumément assassinés par le Kremlin. De la même façon, Russian Lessons accuse la Russie d’avoir causé la guerre éclair de 2008 en Ossétie du Sud, contrairement à l’opinion répandue dans les médias locaux, qui pointent du doigt la Géorgie.

Dénoncer le pouvoir est un sport dangereux au pays de Poutine. Selon la Fédération internationale des journalistes, entre 1993 et 2009, près de 300 journalistes ont été assassinés ou sont disparus en Russie.

Patrick Bellerose

INDE: La révolte des Saris roses

«Pourquoi es-tu venue au monde, ma fille, quand c’est un garçon que je voulais ? Va donc à la mer remplir ton seau : puisses-tu y tomber et t’y noyer.» Les paroles de cette chanson populaire montrent bien à quel point il ne fait pas bon naître fille en Inde. Privées de soins médicaux, victimes de violences domestiques et d’abus sexuels, les femmes indiennes n’ont pas la vie rose, surtout quand elles appartiennent à la caste des « intouchables ».

Heureusement, le clan des Gulabis (aussi appelé « le Gang des Saris roses») veille sur elles. À sa tête, l’Indienne Sampat Pal Devi, héroïne explosive du film Pink Saris de la réalisatrice britannique Kim Longinotto.

Sampat, 47 ans, habite l’Uttar Pradesh, la province indienne la plus démunie. Mère de cinq enfants, elle a été mariée de force à l’âge de 9 ans. Signe distinctif : elle est révoltée. Avec son groupe de femmes vêtues de saris roses, elle conteste la condition de la femme dans le pays et combat la discrimination. Cas pratique : dans un village marqué par le poids des traditions et de la corruption, une fillette « intouchable » victime de violence conjugale peine à se faire entendre par l’officier chargé de prendre d’enregistrer sa plainte. Qu’à cela ne tienne, les Saris roses arrivent pour lui faire entendre raison, quitte à le traîner hors du commissariat pour le rouer de coups jusqu’à ce qu’il s’exécute. Combattre la violence par la violence au pays de Gandhi ? Serait-ce le seul moyen de résistance collective d’un groupe qui affirme : « Nous ne sommes pas contre les hommes. Nous sommes pour l’égalité des droits pour tout le monde et contre ceux qui la refusent»?

Leslie Doumerc

ÉGYPTE: Danse la nuit, pleure le jour

Le Québec a ses danseuses nues, l’Égypte a ses danseuses orientales. Glamour, l’univers des Mille et une nuits ? Que nenni, si on se fie au film La nuit, elles dansent, réalisé par les Québécois Isabelle Lavigne et Stéphane Thibault, et présenté en première mondiale aux RIDM. Sur scène, les déhanchements lascifs et les tenues affriolantes font rêver, mais la réalité en coulisse tient plutôt du cauchemar. Sous leur perruque et leur maquillage, les filles sont épuisées, endettées, droguées ou rejetées par leur entourage.

La caméra intime nous fait entrer chez une famille où la matriarche, Reda, gère avec une poigne de fer le business de ses filles. Amira, l’aînée, mécontente ses clients en annulant ses rendez-vous à la dernière minute. Elle est courtisée, mais personne ne veut l’épouser à cause de son métier. À 15 ans, la cadette, Hind, fait scandale en flirtant avec un homme marié ; elle se retrouvera par la suite au poste de police car elle est trop jeune pour danser. Sa soeur, Bossy, poursuit quant à elle avec réticence la tradition familiale. La danse du ventre fait partie de l’histoire et de la vie culturelle égyptienne depuis longtemps. Avant, aucun mariage ni fête sainte ne pouvait être célébré sans cette danse rituelle. Mais, depuis une dizaine d’années, les fondamentalistes islamiques ont investi la vie culturelle égyptienne et considèrent cette danse comme une perversion interdite par la loi religieuse. Avec le fondamentalisme religieux grandissant en Égypte, les danseuses sont de plus en plus considérées comme indécentes. Tout comme les prostituées, elles amèneraient les hommes à se déshonorer.

Leslie Doumerc

ÉTATS-UNIS: Détroit après l’apocalypse

Des herbes folles poussent sur le stationnement des industries automobiles laissées à l’abandon, comme si la nature prenait sa revanche sur l’industrie. De hauts édifices en ruines servent de falaises artificielles aux rapaces qui viennent y construire leur nid. Des cadavres de pit-bulls abandonnés par leur maître jonchent le sol. Un itinérant traîne son chariot dans des rues désertées. Bienvenue à Détroit, ville sauvage, du nom du dernier film du réalisateur français Florent Tillon.

On pourrait presque se croire à Bagdad après un bombardement. Mais nous sommes bel et bien dans une métropole du nord des États-Unis, première puissance mondiale. Pour comprendre le Détroit d’aujourd’hui, il faut remonter aux émeutes raciales de 1967 et à la lente agonie de l’industrie automobile américaine. Les mises à pied successives ont vidé le centre-ville de plus d’un million d’habitants en l’espace de 50 ans. Le prix des maisons est passé de 300000 $ à 5000 $ en 10 ans.

Mais ne nous laissons pas trop vite séduire par cette « pornographie de ruines» accablante ! Le film de Florent Tillon montre aussi l’espoir. Inspirée par le modèle de la décroissance, une communauté de marginaux tente de vivre en autosubsistance en faisant pousser des potagers et en créant des fermes rurales en plein centre-ville. Des bénévoles motivés cassent des maisons abandonnées pour mieux les reconstruire. «On a aussi vu des artistes qui ne réussissent pas trop à New York venir s’installer ici. Il y a de la place et ce n’est pas cher !» souligne François Jacob, assistant à la réalisation. Détroit, future San Francisco à seulement dix heures de route de Montréal ?

À venir dans Quartier Libre: l’entrevue sur Détroit, ville sauvage, avec François Jacob.

Leslie Doumerc

PHILIPPINES: Les vrais cadavres font plus vrais

Lors du tournage d’Apocalypse Now aux Philippines, Francis Ford Coppola empruntait les hélicoptères du dictateur Ferdinand Marcos pour ses scènes de combats. Ceux-ci devaient parfois quitter momentanément le tournage pour aller attaquer des rebelles dans des secteurs rapprochés. Les cadavres immortalisés dans le film étaient, eux aussi, bel et bien réels. Pourquoi truquer quand on peut acheter la réalité pour moins cher ?

C’était les années 1970 et l’industrie du cinéma d’exploitation ultraviolent fleurissait aux Philippines. Le pays a vu de tout : un champion de karaté nain, des femmes seins nus décapitant des gardiens de prison à coups de machette, des héros de la blaxploitation1 maître de kung-fu, etc.

C’est cette époque méconnue, et peu glorieuse, du cinéma philippin que nous fait découvrir le documentaire Machete Maidens Unleashed ! Le film braque sa caméra sur les réalisateurs américains qui n’hésitaient pas à exploiter des Philippins, véritable chair à canon pour des films de série B. Les figurants philippins des films de kung-fu américain étaient payés 5 $ par jour pour se faire frapper, sauter en bas d’un troisième étage sans matelas ou se faire défenestrer sans protection. Dans les années 1980, la fermeture des grindhouses et des ciné-parcs aux États-Unis, ainsi que l’instabilité politique de la fin du régime de Ferdinand Marcos qui rendait les assureurs frileux, ont eu raison de l’industrie cinématographique américaine aux Philippines. C’était la fin d’une époque. Heureusement, il y a toujours Tarantino.

Charles Lecavalier

BRÉSIL: De l’art dans un dépotoir

Contrairement à Disney Land, il n’y a aucune file d’attente pour accéder à Waste Land, le plus grand dépotoir de la planète. Au royaume du déchet potentiellement recyclable, la sensation forte ne s’achète pas, elle se vit sans chichis. À Jardim Gramacho, terre souillée qui accueille 100 % des déchets de Rio de Janeiro et 70 % de ceux des banlieues riches avoisinantes, 3 000 trieurs écologiquement conscientisés s’activent jour et nuit à faire le ménage dans des montagnes de substances identifiables. Plastique, papier, verre, viande avariée, côtelettes comestibles, bébés morts, vieux pots de yogourts, sièges de toilette : vu du ciel, c’est presque beau. Couleur, poussière, texture, atmosphère, intensité dans le dégradé : de cette mosaïque, même le plus amateur des photographes doit réussir à sortir de belles images. Pas étonnant que Vik Muniz, l’artiste brésilien ayant le mieux réussi au-delà des frontières du cinquième plus grand pays du monde, ait vu là l’occasion de réaliser un projet artistique grandiose.

L’art, estime Vik Muniz, consiste à transformer la matière en idée. Le potentiel d’une oeuvre est de changer une vie ou d’élargir une vision. Pendant deux ans, Vik Muniz a travaillé avec quelques trieurs de Jardim Gramacho (dont le président de l’association des trieurs) à créer des oeuvres artistiques à base d’objets recyclables. Le projet est une réussite incontestable et contribue à faire sortir quelques trieurs de la merde. Gros plan à la fois sur la vision d’un artiste, et sur la brute réalité d’individus évoluant dans le jus de poubelle, le documentaire de Lucy Walker est une invitation à garder le moral.

Christine Berger