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Benjamin Albouy lors de sa prestation au congrès de l'Acfas (Crédit photo : Hombeline Dumas / Acfas)

180 secondes pour gagner

C’est le 16 mars dernier que le doctorant en anthropologie à l’UdeM Benjamin Albouy a remporté la finale institutionnelle de l’Université de MT180. Dans le cadre de celle-ci, les participant·e·s au concours, issu·e·s de diverses facultés et ayant reçu une formation avec un journaliste scientifique, avaient présenté à tour de rôle leur sujet de thèse en 180 secondes. « Le niveau était très élevé, avait confié Benjamin à Quartier libre quelques jours après l’événement. J’ai été bluffé par les performances de mes collègues ! »

La concision et le dynamisme de l’étudiant, ainsi que sa capacité à vulgariser son sujet, qui a, de plus, un fort écho dans l’actualité, avaient plu au jury. Benjamin s’intéresse en effet à l’impact des changements climatiques rapides survenus au cours de la dernière phase de l’existence des Néandertaliens, et à la manière dont ces changements ont pu contribuer à leur disparition.

Passionné de vulgarisation scientifique, le doctorant envisageait de participer à MT180 depuis quelques années. « Très tôt, ça m’a stimulé : comment accrocher le public avec une phrase un peu punchline, ludique, mais qui a aussi un sens scientifique, voire philosophique », avait-il précisé. C’est donc au moment d’entrer dans la dernière ligne droite de la rédaction de sa thèse qu’il avait jugé le moment opportun pour participer.

Que pensait-il alors des critiques qui reprochent au format de MT180 de gommer les nuances scientifiques au profit de la forme ? « Ce genre de concours oblige à faire un grand écart, et à réfléchir de deux manières, en vulgarisateur et en scientifique, avait expliqué Benjamin. Scientifiquement, on pourrait dire que je simplifie énormément, mais je dois donner l’envie. Si je parle de choses très précises sur lesquelles je travaille, même moi, au bout d’un certain moment, j’y perds un certain intérêt. Ce qui est intéressant, c’est la finalité. »

Les participant·e·s à la finale nationale de MT180 réuni·e·s sur la scène (Hombeline Dumas / Acfas)

Et cette finalité n’est pas banale : le doctorant est convaincu que faire connaître la recherche auprès du grand public peut avoir des conséquences tangibles. « En prenant du recul, en expliquant mon sujet en trois minutes au grand public, je participe à ma manière aux discours sur le climat, et peut-être à mettre en marche une action au sein de la population », avait-il déclaré.

Il y voit aussi des impacts positifs, en tant que chercheur. « Prendre du recul par rapport à notre sujet de recherche, ça nous permet aussi de voir des applications concrètes ! avait-il précisé. Nous sommes tellement spécialisés que ça devient difficile de voir le sens de ce que nous faisons. »

Fort de ses convictions, Benjamin s’est donc senti prêt à faire face aux champion·ne·s des autres établissements universitaires à l’occasion de la finale nationale du mercredi 10 mai. Modeste, il se trouve déjà fort chanceux d’être parvenu à cette étape. « J’attaque la finale nationale avec positivité, pour le plaisir ! », a-t-il déclaré quelques jours avant l’événement.

Gérer le trac

Quartier Libre retrouve donc Benjamin le jour de la finale nationale à l’amphithéâtre Banque Nationale de HEC Montréal. Les 21 concurrent·e·s, venu·e·s des quatre coins du Canada, se rencontrent et participent à une répétition générale, sans public, quelques heures avant l’événement. Tous·tes sont ainsi préparés à l’expérience qui les attend : les déplacements, le micro, la technique, le chronomètre affiché devant leurs yeux.

Les participant·e·s prennent aussi la mesure de leurs « adversaires ». Bien que chacun·e espère repartir avec un prix, l’ambiance est bienveillante. Quelques instants avant le début de la finale, les finalistes sont en quelque sorte uni·e·s par le trac.

Benjamin a longtemps lutté contre l’anxiété lorsqu’il devait s’exprimer devant public. (Crédit photo : Hombeline Dumas / Acfas)

 

Benjamin n’y échappe pas, d’autant plus qu’il a grandement lutté, pendant des années, pour vaincre l’anxiété qui le ronge avant de parler en public. « J’étais quelqu’un de très angoissé, qui parlait très vite, qui tremblait, avoue-t-il. J’ai beaucoup travaillé sur moi. La meilleure solution, c’est comme pour l’anxiété : ne pas y penser, me dire : “je fais ça pour moi et si ça plaît à du monde, c’est du bonus”. Le yoga et la méditation m’ont beaucoup aidé. J’utilise le stress comme une force ! »

Oublier à quel point les études doctorales exigent de parler en public et d’être un·e bon·ne orateur·rice peut être tentant, mais elles demandent bien souvent de faire des présentations, de participer à des colloques, ou encore d’enseigner. Benjamin vise l’enseignement et espère devenir un mentor pour ses élèves, comme d’autres l’ont été pour lui.

« Je gère mieux mon anxiété maintenant, mais c’est quelque chose qu’on ne perd jamais, sur lequel on travaille pour la mettre à distance », affirme le doctorant. Après tant d’efforts, la boucle sera-t-elle bouclée à l’issue de la finale d’un concours oratoire, alors qu’il termine ses études ? « Tout à fait ! », répond-il en souriant.

Le grand soir

La salle est pleine pour cette 12e édition de MT180 : famille, ami·e·s, directeur·rice·s de thèse, ainsi que des curieux·euses et adeptes de ce concours savant tant ludique qu’accessible.

L’animatrice de l’émission de radio Les années-lumière, Sophie-Andrée Blondin, rappelle les règles : 180 secondes, pas une de plus, sous peine d’être disqualifié·e, ainsi qu’une seule image, projetée en arrière-plan, et aucun accessoire. Le jury s’aligne devant les participant·e·s. Il prendra en considération 3 critères : le talent d’orateur·rice, la capacité de vulgariser et la structure de la présentation. La personne qui remportera le premier prix se rendra ensuite à la finale internationale, qui se tiendra au Maroc.

Les présentations commencent. Au premier abord, les sujets sont souvent improbables. Comment, par exemple, rendre passionnant « Contribution du système migratoire rostral à la régénération du cerveau chez le poisson-zèbre » ? En faisant preuve d’humour, en utilisant des métaphores très accessibles, et même en manipulant un ver de terre imaginaire ! Les concurrent·e·s suscitent ainsi l’intérêt du public, qui rit, écoute attentivement et applaudit généreusement.

À en juger les applaudissements, la salle a été conquise. (Crédit photo : Hombeline Dumas / Acfas)

Tous les domaines scientifiques sont représentés, parmi lesquels la mesure de la communication entre cerveaux, la prévention de l’extinction d’une espèce de caribou, ou encore la stimulation des testicules peu productifs. Les participant·e·s ont répété des dizaines, voire des centaines de fois. Bien rodé·e·s, plusieurs concluent avec un « merci ! » in extremis, à la 179e seconde.

Vient alors le tour de Benjamin. Sa nervosité se transforme en adrénaline : son élocution est rapide et dynamique, sa présentation précise. Difficile toutefois de déceler ce que pense le jury, mais à en juger les applaudissements, la salle semble pour sa part conquise.

L’ensemble des prestations terminées, le jury se retire pour délibérer et se fait attendre au-delà des 20 minutes prévues. Le choix est de toute évidence difficile.

Les lauréat·e·s sont finalement annoncé·e·s, mais Benjamin n’en fait pas partie.

« Je suis content de ma prestation : mission accomplie avec moi-même, partage-t-il en coulisses. Je pense que ça a été dur pour le jury de départager : on était très diversifiés, mais très homogènes sur la rigueur et le cœur qu’on y a mis. »

Il repart donc la tête haute. « C’était une belle soirée, assure-t-il. Là, je vais pouvoir passer à autre chose. Je suis soulagé, parce que je n’aurai plus à répéter mon texte ! Une sorte de prévacances ! »

Vous pouvez visionner la prestation complète de Benjamin lors de la finale nationale ici :

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