You only die once

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Par Eric Deguire
mardi 26 février 2013
You only die once

Seul, au fond de mon appartement, je me sauvais de mes journées entre le Johnnie Walker Red et la musique désuète. Dans ma pile de livres que je n’avais pas encore lue à moitié, je revisitais les romans d’Allan Gurganus. Et ses paroles résonnèrent au fond de mon cœur : « Know something Sugar ? Stories only happen to people who can tell them. »

Dans mes jours de gloire, j’avais vu Paris comme si l’amour n’était jamais parti. J’avais vu Liverpool comme si George Harrison était encore en vie. J’avais vu San Francisco en me promenant à Haight-Ashbury. J’avais vu New York comme si le Village Vanguard n’avait jamais cessé de sonner comme Mr. PC. Malgré la tourmente, je devais me relancer.

À la suite d’une surdose de volonté et de passion, je remplaçai le whisky par du cabernet-sauvignon et des verres de cristal. J’enfilai mes plus beaux complets et mes cravates de soie. Je décidai enfin de mettre en valeur mes trois diplômes universitaires.

Je me rendis à Chicago, puis je conduisis sur la Route 66 jusqu’au paradis urbain. À Los Angeles, je vécus tous les plaisirs du monde et je devins ami avec toutes les plus importantes figures de la culture populaire. Je remplaçai même mes vestons de velours par des chemises confectionnées du meilleur coton égyptien. Je gagnai une fortune composée d’argent et de bonheur dans la capitale culturelle du monde moderne. Je me promenais en décapotable le long de l’océan Pacifique à écouter la voix d’Anthony Kiedis.

Comme l’Univers était beaucoup plus parfait que cruel, l’amour revint. Elle avait étudié la littérature comparative à Stanford et venait d’une bonne famille : riche, éduquée et cultivée. Elle se promenait en robe d’été à longueur d’année. Ses longs cheveux foncés contrastaient avec les rideaux et draps blancs alors que le soleil plombait sur le balcon chaque matin, immanquablement chaud. Et comme l’aurait voulu Allan Gurganus, je l’appelais Sugar.

Toutefois, Los Angeles était souvent beaucoup moins angélique qu’on aurait pu le croire. Comme moi, Sugar aimait prendre son verre de merlot et d’autres fois c’était le whisky qui s’imposait. Mais, contrairement à moi et ma nature peureuse, Sugar aimait aussi d’autres plaisirs coupables.

L’Ouest américain, en commençant par Los Angeles, pouvait être si anarchique. Sugar était beaucoup plus audacieuse que moi. Elle pouvait visiter Lucy in the Sky et revenir sur terre sans trop de séquelles. Elle avait incarné les forces et les folies de son État natal : la Californie. Ce pouvait être dans le chaos du nightlife hollywoodien ou dans la tranquillité d’un moment au bord de la mer, Sugar se laissait enivrer des plaisirs coupables de Janis Joplin.

Malgré certains déboires et d’autres imperfections, j’étais heureux, pour ne pas dire euphorique. Sugar était fantastique. Penser à elle et moi me coupait le souffle. Certains soirs, je passais mon temps à l’admirer : une libre Américaine qui s’enivrait et qui, par la suite, lisait du Guy de Maupassant avec un sourire permanent accroché au visage. Quelle femme. Avec elle, j’étais comblé.

Mais l’enivrement alla trop loin, un frais et doux soir de juillet. Alors que je prenais des shooters de tequila avec Mark Wahlberg à la suite d’un rendez-vous d’affaires avec le grand homme, comme elle aimait bien le faire, Sugar se laissa monter au paradis de Lucy in the Sky. Mais cette fois-ci, son excès de passion fit qu’elle ne revînt pas de son pays des merveilles. Elle y resta et je continuai de me sauver dans le Johnnie Walker Red