Voir et être vu

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Par Pascaline David
mercredi 2 novembre 2016
Voir et être vu
Le sentier qui relie l'avenue Louis-Colin au chemin de la Tour permettant d'accéder au pavillon Roger-Gaudry. Crédit photo : Mathieu Gauvin.
Le sentier qui relie l'avenue Louis-Colin au chemin de la Tour permettant d'accéder au pavillon Roger-Gaudry. Crédit photo : Mathieu Gauvin.
Durant le mois d’octobre, a eu lieu la campagne québécoise « Tous piétons ! » qui promeut la pratique de la marche. Réflexion sur la mobilité des étudiants autour des campus alors que les aménagements urbains ne sont pas toujours pensés de manière à favoriser la sécurité des piétons.

« On a besoin de sentir qu’on est vus, visibles, et ce n’est pas le cas à bien des égards autour du campus », lance le professeur au Département d’urbanisme de l’UdeM Gérard Beaudet. L’aménagement est tel que les bâtiments universitaires sont souvent éloignés de la rue et entourés de voies automobiles, contribuant à ce que le piéton ne se sente pas toujours le bienvenu. M. Beaudet prend l’exemple de la place Laurentienne qui présente des façades aveugles importantes, c’est-à-dire des murs sans fenêtres. « Il y fait sombre et plusieurs bâtiments sont utilisés par l’administration, donc il n’y a plus personne après 17 heures », ajoute-t-il.

En étant nombreux, ils constituent une masse critique de gens qui se surveillent les uns les autres par l’observation sociologique, et sont capables d’intervenir si quelque chose arrive. » Olivier Roy-Baillargeon Stagiaire postdoctoral en urbanisme à l’Université de Waterloo

La topographie et la végétation sont également déterminantes. L’UdeM et l’Université McGill sont désavantagées, car toutes deux sont situées sur le site accidenté du mont Royal avec des chemins en contrebas de la montagne ainsi que des parties de terrain surélevées. « Il faut faire attention au type d’arbres implantés, comme ne pas avoir trop de végétation dense à côté du sol afin de favoriser une certaine perméabilité visuelle », recommande M. Beaudet.

Ballet de trottoir

La visibilité des autres et par les autres est donc primordiale. Le stagiaire postdoctoral en urbanisme à l’Université de Waterloo Olivier Roy-Baillargeon prend l’exemple du concept du « ballet de trottoir », défini par la théoricienne Jane Jacobs comme un va-et-vient incessant de gens de toutes sortes d’origines, avec diverses raisons de circuler. « En étant nombreux, ils constituent une masse critique de gens qui se surveillent les uns les autres par l’observation sociologique et sont capables d’intervenir si quelque chose arrive », explique Olivier. Afin d’appliquer ce principe aux campus, les activités des universités pourraient davantage se tourner vers l’espace public, et dynamiser les grands espaces comme les cours intérieures et les atriums. « Si l’on organise les activités récurrentes plus longtemps dans la journée, les gens se sentent en sécurité, car l’on donne ainsi des yeux à l’université », ajoute-t-il.

L’étudiante au baccalauréat en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Caroline Quijoux est de cet avis. « C’est rassurant, on se dit que rien ne peut nous arriver, lance-t-elle. Je rajouterais que le fait qu’il y ait du monde donne surtout du dynamisme. » Les universités comme l’UQAM et Concordia ont ainsi l’avantage d’être directement intégrées dans le tissu urbain.

Balises de sécurité

Une autre idée déjà mise en place à Longueuil consiste en l’installation d’éléments de repérage numérotés au sol permettant d’indiquer aux secours l’endroit précis où l’étudiant se situe. « Quand on panique, on ne sait pas où on doit se rendre, par quel sentier, pense Gérard Beaudet. Ce dispositif peut aider quelqu’un qui fait un malaise ou se fait agresser. »

Selon Olivier, les clôtures et balises installées n’empêchent pas les étudiants de prendre des raccourcis et ainsi créer des « lignes de désir » comme de l’herbe plus abîmée par les pas à certains endroits. Il faut attendre que celles-ci se matérialisent, puis intervenir pour en formaliser l’aménagement. « Cela a été fait à l’université Waterloo et à Calgary qui s’étaient servi de traces de pas dans la neige pour repérer les trajets », révèle-t-il.

Un autre paramètre à prendre en compte est la présence des voitures autour des campus. « L’aménagement hérité des années 1960-70 a donné la priorité à l’automobile », affirme M. Beaudet. Cette configuration n’est pas très sécuritaire pour les étudiants, notamment sur le chemin de la rampe où ils ne sont pas toujours bien visibles, puisque les éclairages ne sont pas conçus pour les piétons. « Dans le secteur de Polytechnique où il y des viaducs par exemple, on marche presque à ses risques et périls », informe le professeur.

La porte-parole de l’UdeM, Geneviève O’Meara, indique que le réaménagement de la partie basse du chemin de la rampe est présentement à l’étude. « De façon plus générale, nous franchissons les étapes pour revoir complètement notre Plan directeur des aménagements et inclure les enjeux actuels, dont le développement durable et la cohabitation piétons-vélos-voitures », dit-elle.

En attendant les réaménagements, les problèmes de visibilité peuvent être compensés par des choix élémentaires d’après M. Beaudet. « Repérer les lieux et se familiariser avec l’environnement permet de se sauver plus rapidement s’il y a un problème », exprime-t-il. Le professeur ajoute qu’il faut essayer de varier les itinéraires pour empêcher quelqu’un en repérage de voir l’étudiant passer tous les jours au même endroit et à la même heure.