Vers d’oreille

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Par Guillaume Mazoyer
lundi 3 novembre 2014
Vers d’oreille
L’écoute distraite du dernier succès radiophonique que l’on n’affectionne pas particulièrement suffit à l’intégrer comme élément connu dans notre cerveau.
Crédit photo : Isabelle Bergeron
L’écoute distraite du dernier succès radiophonique que l’on n’affectionne pas particulièrement suffit à l’intégrer comme élément connu dans notre cerveau.
Crédit photo : Isabelle Bergeron
Qu’on aime une chanson ou non, un refrain peut rester dans notre tête plusieurs heures sans qu’on puisse y faire grand-­chose. Ce phénomène, appelé « ver d’oreille » ou « chanson obsédante », fait actuellement l’objet d’une étude au Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son (BRAMS), affilié à l’UdeM.

Les vers d’oreille s’attrapent lorsqu’un élément de notre environnement immédiat nous fait penser à une phrase musicale. La mémoire étant associative, il suffit d’un mot ou d’un rythme pour qu’une chanson ressurgisse dans notre esprit, et y reste.

« Lors de l’écoute d’une pièce, les éléments musicaux s’inscrivent dans nos neurones, explique l’étudiante au doctorat en psychologie recherche et intervention à l’UdeM et chercheuse au BRAMS Andréane McNally-Gagnon. La répétition de ces éléments permet au cerveau de prédire leur arrivée, engendrant du plaisir lorsque les prédictions sont justes. » Nos pensées chantent inconsciemment en même temps que la chanson grâce à sa prédictibilité, rendant la pièce musicale intéressante selon la doctorante qui suit l’option neuropsychologie clinique de son programme.

Individuellement, nous avons tous des chansons que nous aimons écouter en boucle.D’après une étude récente menée par une chercheuse américaine de l’Université de l’Arkansas, Elizabeth Hellmuth Margulis, toutes ces pièces musicales ont un point commun qui explique qu’elles nous marquent : leur redondance.Le caractère cyclique d’une chanson permet une meilleure compréhension de sa trame musicale par le cerveau, d’où la présence de refrains. « On a besoin d’apprivoiser la musique », croit l’étudiant au baccalauréat en musiques numériques Maximilien Simard-Poirier.

Chaque chanson peut cependant comporter des éléments inattendus qui tranchent avec les répétitions. « Un bridge dans une chanson par exemple permet de surprendre l’auditeur, assure Andréane. L’information est inscrite dans les neurones et il est plaisant de se rappeler cette surprise lors d’une deuxième écoute. »

La redondance extérieure

Les neurones tentent également de mettre en relation les nouvelles pièces musicales avec celles que nous avons déjà écoutées, créant chez l’individu un univers de référence musicale. « Lors de l’écoute d’un nouveau morceau, si le cerveau n’est pas capable de faire des liens avec ce qu’il connaît déjà, comme une gamme de notes par exemple, l’expérience sera jugée moins intéressante et moins plaisante par l’auditeur », indique Andréane McNally-Gagnon.

On peut pourtant se surprendre à chanter le dernier succès radiophonique que l’on n’affectionne pas particulièrement, car notre cerveau y a été exposé à de nombreuses reprises. « Pour m’en débarrasser, j’écoute une autre chanson », confie l’étudiante au certificat de journalisme Garance Munoz.

Ainsi, l’écoute distraite d’une même chanson au bureau, dans un magasin et dans la rue permet de l’intégrer inconsciemment comme élément connu. « Je crois que nous sommes encore et toujours sous une forme d’emprise médiatique qui dicte aux masses les succès de l’heure, constate Maximilien Simard-Poirier. Il faudrait se demander si on a réellement des chansons préférées. »

Le phénomène de redondance musicale n’est pas une exclusivité aux sociétés occidentales modernes.« La musique a une fonction sociale, souvent celle de la cohésion de groupe, décrit Andréane. La répétitivité permet à l’auditeur de participer avec tout le monde. » À l’époque de l’esclavage en Amérique par exemple, les ouvriers dans les champs de coton entonnaient des chants répétitifs, comme le gospel, permettant un apprentissage rapide des paroles.

L’amusie, exception au ver d’oreille

« Non, rien de rien / Non, je ne regrette rien » L’avez-vous dans la tête à présent ? Vous venez officiellement d’attraper un ver d’oreille. Sinon, c’est que vous avez l’excuse de ne pas connaître la fameuse chanson d’Édith Piaf ou encore, vous souffrez d’amusie.

L’amusie est l’incapacité à percevoir la tonalité d’une chanson et de la répéter correctement. Cette affection est courante et touche entre 3% à 5% de la population mondiale, selon les recherches effectuées par la professeure au Département de psychologie de l’UdeM et fondatrice du BRAMS, Isabelle Peretz. L’amusie peut être génétique ou se développer à la suite de lésions dans le cerveau. Un test de dépistage a été créé par Mme Peretz ainsi que par des collaborateurs de l’UdeM en 1990.

L’amusie a touché des personnalités historiques comme Theodore Roosevelt ou encore Ernesto Guevara. « El Che » ne pouvait pas reconnaître l’hymne national de son pays sans les paroles.