Une étudiante repousse de 10 000 ans l’arrivée de l’homme au Canada

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Par Mylène Gagnon
vendredi 16 mars 2018
Une étudiante repousse de 10 000 ans l’arrivée de l’homme au Canada
L'étudiante Lauriane Bouchard montre des ossements provenant de son étude. (Photo: Mylène Gagnon)
L'étudiante Lauriane Bouchard montre des ossements provenant de son étude. (Photo: Mylène Gagnon)
Dans le cadre de la Semaine de l’archéologie, Quartier Libre braque son projecteur sur une découverte archéologique majeure menée par l’ancienne doctorante Lauriane Bourgeon et supervisée par la professeure Ariane Burke. Alors que la datation de la première présence humaine au Canada remonterait à il y a 14 000 ans, elles ont découvert que l’homme était présent 10 000 ans plus tôt dans les grottes du Poisson bleu (Bluefish caves), au nord du Yukon.

Mme Burke a déjà fouillé ce site en 1993 lors de son doctorat sous la direction de l’archéologue Jacques Cinq-Mars. « C’est lui qui a découvert ce site et qui l’a exploité pendant de nombreuses années », affirme-t-elle. Il avait émis l’hypothèse que les premiers humains étaient arrivés en Amérique par le détroit de Béring il y a 25 000 ans.

Ce sujet est controversé, car aucune autre recherche auparavant n’a pu permettre d’affirmer un tel constat. « Il n’a jamais publié d’études vraiment approfondies sur l’ensemble du matériel osseux, poursuit Lauriane. Ce n’était pas assez concluant pour satisfaire la communauté scientifique. » Elle admet qu’en effet, les traces sur les os auraient pu être la conséquence d’une abrasion ou de dents de carnivores.

La professeure a alors proposé à son étudiante au doctorat d’examiner à nouveau ces grottes controversées, elle qui avait en tête depuis toutes ces années ce site qu’elle trouvait sous-publié. « Ma démarche a été de réanalyser la collection osseuse de ce site que l’on a fait venir du Musée canadien de l’histoire de Gatineau pour essayer d’approuver ou d’infirmer l’hypothèse qu’il [Jacques Cinq-Mars] avait initialement proposée », explique-t-elle.

Lauriane a analysé 36 000 ossements et de ce nombre, elle a découvert que quinze traces étaient le fruit d’une activité humaine. « La première étape est d’identifier les éléments anatomiques et les espèces qu’on a dans un assemblage osseux, explique-t-elle. Quand on trouve un fragment osseux, on se réfère soit à des collections de référence, soit à des collections virtuelles ou des atlas ostéologiques. Puis on essaie de trouver ce que c’est. Un os du bras, de la jambe? On essaie d’identifier si c’est un carnivore ou un herbivore. » La deuxième étape consiste à étudier les traces sur les os.

Pour identifier les fragments osseux, Lauriane les a donc comparés avec une collection de référence située à l’UdeM et réalisée en partie par les étudiants.

Après l’identification des traces provenant d’humains, Lauriane a envoyé les ossements au directeur adjoint du laboratoire de datation par radiocarbone de l’Université d’Oxford, Thomas Higham. Celui-ci a découvert qu’ils étaient vieux de 24 000 ans.

Une découverte qui dérange

À la suite de la publication de sa recherche dans la revue PLOS ONE, les répercussions ont été importantes. Puisqu’il s’agit du seul site avec des dates aussi anciennes en Amérique du Nord, les archéologues se questionnent. « Ils cherchent à savoir ce qui s’est passé entre les deux [il y a 24 000 ans et il y a 14 000 ans], explique Lauriane. Il devrait y avoir d’autres sites transitionnels, mais on ne les a pas. Les dates ne sont pas remises en question, mais l’analyse des traces observées, oui. » Les archéologues croient que les traces auraient peut-être été causées par une abrasion sédimentaire.

Aujourd’hui, Lauriane tente de développer un projet postdoctoral dans le nord du Yukon pour réaliser des analyses complémentaires. « Si on a trouvé des traces humaines dans les grottes du Poisson bleu, il y a probablement d’autres grottes à analyser dans la région », croit-elle. Elle espère pouvoir se rendre sur place, ce qu’elle n’a pu faire jusqu’à maintenant; l’endroit étant isolé et le coût du billet d’avion dispendieux.