Un professeur subliminal

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Par Andreanne Chevalier
mercredi 16 novembre 2011
Un professeur subliminal

Dans les années 1980, un professeur de l’UdeM a vendu des milliers de disques de musique de «détente subliminale». Quoi ? Mais pourquoi et… comment ? Ce sont les questions que nous avons posées à François Borgeat qui était alors, et est toujours, psychiatre et professeur titulaire à la Faculté de médecine.

Il y a quelques semaines, un membre de l’équipe du Quartier Libre flâne dans le magasin La mort du vinyle, sur le boulevard Saint-Laurent. Parmi des milliers de disques, il tombe par hasard sur La détente subliminale volume 2. Surprise ! Le nom de François Borgeat accompagné d’une photo se trouve au verso de la pochette. Curiosité instantanément piquée.

L’écoute du disque révèle une musique électronique sur la face A. La face B, elle, propose une mélodie «acoustique» qui teste la tolérance de l’auditeur à la flûte de pan. Accompagnant les instruments, François Borgeat nous glisse à l’oreille des phrases telles : «En imagination, faites le tour de votre corps comme si vous le dessiniez» et «Il est probable que vous ressentiez de la lourdeur, de la chaleur. »

Quelques instants plus tard, la musique prend le dessus et les messages dictés par le psychiatre deviennent inaudibles. Car même si l’on dit «musique subliminale», ce sont les messages qu’on y juxtapose qui sont imperceptibles. N’importe quelle trame sonore pourrait se prêter à l’écoute de messages subliminaux.

Un sujet de recherche marginal

Le psychiatre François Borgeat est narrateur de la série de disques La détente subliminale. (Crédit photo : Andréanne Chevalier)

François Borgeat semble surpris qu’on ait mis la main sur La détente subliminale volume 2. La rencontre a lieu chez lui, où règnent l’ordre et les teintes de beige. C’est le repaire d’un scientifique reconnu dans sa communauté. Il a d’ailleurs été nommé, début octobre, au conseil d’administration de la Commission de la santé mentale du Canada.

Dans les années 1970, au début de la carrière du professeur, la psychanalyse est l’approche dominante en psychiatrie. Selon lui, c’est une théorie riche, mais dont les fondements scientifiques demeurent fragiles. « Pour moi, c’était devenu problématique. C’est à ce moment-là que j’ai découvert la perception subliminale comme une façon d’étudier les phénomènes inconscients. » Il commence ainsi à s’intéresser à la perception subliminale, sujet qui le passionne encore aujourd’hui. « Notre point de départ, c’était de faire de la recherche pour comprendre ce phénomène et voir si l’on pouvait sérieusement l’appliquer, précise-t-il, un petit rire en coin. Ce n’était pas de devenir des gourous. »

Avec des collègues, il démontre qu’il est possible de modifier la réaction d’une personne à un stress – changer son rythme cardiaque ou sa tension musculaire, par exemple – à l’aide de suggestions subliminales. À l’époque, ces résultats sont utilisés comme méthode de relaxation.

Succès populaire

François Borgeat au tournant des années 1980.

Dr Borgeat parle de ses recherches à des gens des médias. La direction de la station de radio 99,5 CIME FM, dans les Laurentides, désire produire une émission expérimentale qui diffusera de la musique de détente subliminale composée par le professeur, ses collègues et des musiciens. « Ç’a été un gros succès, parce que c’était l’émission de cette station-là qui avait les plus hautes cotes d’écoute. C’était à 11 heures le soir. On a fait cela pendant 10 ans, tous les soirs. » Mais la quête de financement reste hasardeuse parmi les organismes de recherche « sérieux ».

François Borgeat et ses collègues créent donc la Fondation pour la recherche sur les impressions subliminales afin de financer leurs études. La production de disques de détente permet de financer la Fondation. Avec chacun plus de 50 000 exemplaires vendus, les trois volumes de La détente subliminale atteignent le disque d’or.

Un phénomène quotidien

Mais est-ce sérieux ? François Borgeat n’en doute pas. « La question de la réalité de la perception subliminale n’est pas mise en doute, explique-t-il. Des perceptions qui sont très rapides, ou faibles, ou marginales, qui ne sont pas dans le foyer de l’attention de quelqu’un, ont quand même un effet. On perçoit une infinité de choses, mais en fait, on est conscients d’un nombre limité. » Par exemple, nous ne sommes pas conscients de nos battements de cœur, ni de nos mécanismes de digestion. Ils existent pourtant. C’est la même logique qui explique la perception subliminale.

« Je suis devenu convaincu qu’il y aurait une façon d’appliquer cela, pour aider les gens à changer leurs réactions, leurs comportements. Quelque chose qu’on peut ajouter à des psychothérapies. » Dr Borgeat obtient présentement de nouveaux résultats en ce sens, issus de près de trois ans de nouvelles recherches. Ces conclusions pourraient s’appliquer au traitement des phobies. Les patients pourraient développer de nouvelles habitudes. « On veut créer un automatisme par la répétition [de messages] dans un état de passivité, de réceptivité et de détente », explique-t-il.

Être conscient des messages inconscients

Doit-on craindre de se faire manipuler par le subliminal contre son gré ? Non, assure-t-il. «Ce sont des effets réels mais subtils. Alors si quelqu’un ne veut pas se laisser aller à cela, il ne se passera absolument rien.» Même avec le recul, François Borgeat reste étonné de la naïveté de certaines personnes face aux approches non traditionnelles, comme le subliminal. « On peut les embarquer si l’on ne fait pas attention. Les gens se font refiler des pilules, des recettes miracles pour n’importe quoi. On jouait un peu avec le merveilleux, mais on essayait de le faire de façon rigoureuse, sérieuse. »