L’ouvrage est le premier du genre à donner une vue d’ensemble sur 70 années de concours au Canada. Il en existe différents types, selon le professeur à l’École d’architecture de l’Université de Montréal, titulaire de la Chaire de recherche sur les concours et les pratiques contemporaines en architecture (CRC), Jean-Pierre Chupin, qui a dirigé la publication. « Les trois quarts du temps, ce sont des concours de professionnels, les étudiants n’y ont pas accès, mais les jeunes architectes, oui, affirme-t-il. Ce sont des moments privilégiés d’accès à la commande et aux premiers projets. » Pour y accéder, les jeunes architectes doivent avoir suivi les étapes de l’Ordre des architectes du Québec (OAQ) c’est-à-dire avoir terminé leurs études universitaires, avoir effectué leur stage professionnel et avoir réussi l’examen d’admission.
Une porte fermée
L’étudiante au doctorat en architecture Camille Crossman, dont la thèse porte sur le jugement de la qualité architecturale dans les concours, croit que ces derniers sont extrêmement pertinents pour les architectes en début de pratique. Pourtant, dans leur forme la plus courante, c’est une porte fermée. « La plupart des concours ne sont pas anonymes et l’on y demande un CV avec des expériences, déclare-t-elle. Si c’est un projet de bibliothèques, on va choisir des firmes qui ont déjà construit beaucoup de bibliothèques. » Selon elle, il devient très difficile pour les jeunes de se démarquer dans un processus comme celui-là. Elle ajoute que les concours anonymes sont rares, alors qu’ils mériteraient d’être plus nombreux, car les juges y évaluent d’abord la qualité des projets.
Ces procédures sur dossier et le fait que très peu de concours au Canada comportent des dispositifs réservés aux jeunes professionnels comme en Europe, par exemple, sont des inégalités selon M. Chupin. « Si on regarde les choses sur le plan strictement légal, c’est injuste parce que ces gens sont diplômés, ils ont fait leurs stages et, en général, ils ont passé un examen professionnel qui atteste de leur niveau de compétence, explique-t-il. On n’a pas le droit de dire “puisqu’ils sont jeunes, il y a un risque à les recruter”.»
L’étudiante à la maîtrise en architecture et agente de recherche au CRC Camille Lefebvre exprime la même réalité. « Actuellement, le problème est que c’est toujours les mêmes firmes établies qui gagnent les concours, déplore-t-elle. Les jeunes firmes ne peuvent pas être sélectionnées puisqu’elles n’ont pas eu la chance de construire quoi que ce soit ». Ce qui donne lieu à un cercle vicieux.
Concours d’idées
Avant de se lancer dans les concours professionnels, les jeunes architectes ont l’occasion de participer à plusieurs autres concours pour se former à la pratique lors de leurs études. Les charrettes, qui se déroulent sur une période plus courte, en sont des exemples. « Ça nous force à développer notre vision d’une pensée architecturale, croit Camille Lefebvre. C’est une occasion de gagner en indépendance, de tester nos capacités, nos connaissances et notre approche. » Cette vision, ils auront à l’exploiter aussi dans les concours professionnels.
Cela peut aussi être utile à moyen terme d’après Camille Crossman. « Gagner quelques charrettes ne veut pas dire qu’on va avoir plus de contrats plus tard, dit-elle. C’est plus pour le CV de l’étudiant quand il va chercher un stage ou pour obtenir des bourses à la sortie de l’école. »
Ces concours d’idées peuvent mener dans des cas précis à la réalisation de projets selon Camille Crossman. « Le projet ne doit pas répondre aux lois auxquelles l’architecture est assujettie, explique-t-elle. Concrètement, ça veut dire des concours d’installations temporaires, d’aménagement paysager, de bâtiments de moins de 300?m2 , des mobiliers d’exposition. » Elle ajoute que, dans ces cas-là, les plans n’ont pas besoin d’être approuvés par des architectes. « Un concours multidisciplinaire qui exigerait qu’un étudiant s’associe avec un architecte pourrait être intéressant ! » s’exclame-t-elle.
Processus à revoir
Selon M. Chupin, les créateurs de concours sont au cœur de la problématique. « On est dans une sorte de zone grise où les organisateurs disent qu’ils ne sont pas obligés de mettre en place des concours et qu’ils ont le droit de choisir les meilleurs architectes », partage-t-il.
Le professeur estime que le concours est un dispositif général, avec des règlements et des modalités qui peuvent être ajustés. « On peut très bien avoir un concours de bibliothèque, faire une sélection de dossiers sur six équipes et déterminer que deux d’entre elles seront sélectionnées dans un bassin de jeunes architectes de façon anonyme par exemple », explique-t-il. Une autre possibilité serait la mise sur pied de plus de petits concours avec des budgets moindres. « Même un concours moyen est une brique de plus dans la qualité architecturale de nos espaces publics et collectifs », estime-t-il. Des solutions sont donc envisageables dans un contexte où, d’après Camille Lefebvre, il est nécessaire de se poser collectivement la question de l’accessibilité des jeunes architectes au marché du travail.