Un enseignement objectif est-il possible?

icone Campus
Par Eric Deguire
mercredi 28 janvier 2015
Un enseignement objectif est-il possible?
Les prises de position et les commentaires provocateurs ont parfois l’avantage d’attirer l’attention des étudiants et même de stimuler leur intérêt.
Les prises de position et les commentaires provocateurs ont parfois l’avantage d’attirer l’attention des étudiants et même de stimuler leur intérêt.
Le souverainiste et professeur de droit à l’UdeM Daniel Turp a annoncé publiquement son appui, le 20 janvier dernier, au député et homme d’affaires Pierre-Karl Péladeau dans sa course à la direction du Parti québécois. Entre les ex-politiciens qui réorientent leur carrière vers l’enseignement et les professeurs qui militent contre l’austérité, la question de l’objectivité en cours devient incontournable. L’affichage des opinions politiques de certains professeurs serait inévitablement au rendez-vous dans les salles de cours, particulièrement en sciences humaines.
« La matière n’est pas simplement technique, je ne me présente pas comme étant un expert. Je traite les étudiants comme des adultes. S’il y a un lien avec la matière, c’est tout à fait correct d’exprimer son opinion. Il ne faut pas cacher son opinion, mais faciliter l’échange. » Charles Blattberg Philosophe et professeur du Département de science politique de l’UdeM

Selon le professeur au Département de science politique de l’UdeM Laurence McFalls, présenter son opinion aux étudiants est d’abord une question d’honnêteté. Ce serait aussi une obligation de clarté qui facilite les échanges. « Si on cache ses opinions, si on prétend être neutre, on rend la discussion impossible », affirme-t-il.

Certains croient qu’un style d’enseignement moins descriptif peut favoriser les étudiants. « Ma façon d’enseigner est d’exprimer mon opinion et de ne pas juste décrire celles des autres, explique le philosophe et aussi professeur du Département de science politique de l’UdeM Charles Blattberg. Je donne un cours de philosophie politique qui met l’accent sur le dialogue, et surtout l’expression des objections que je suis prêt à accueillir. »

Pour la vice-doyenne aux études de premier cycle de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UdeM Pascale Lefrançois, l’opinion politique serait de façon générale incontournable.Elle explique par contre qu’il faut faire la part des choses et soutenir des opinions qui sont basées sur des faits. Elle explique par contre qu’il faut rester critique et soutenir des opinions basés sur des faits. « Lorsqu’une opinion est appuyée par des faits, elle développe le sens critique et, dans la mesure où les étudiants ont droit à une opinion, ça encourage le dialogue » , explique-t-elle.

L’opinion politique peut se faire ressentir aussi dans les choix du matériel de cours. « L’opinion des professeurs peut souvent être remarquée par le choix subtil des thèmes et des objets d’étude, explique l’étudiante qui effectue actuellement une propédeutique en vue d’une maîtrise en sociologie, Susana Ponte Rivera. Par exemple, certains professeurs proposent plusieurs auteurs femmes ou autochtones. » Ainsi, il devient possible de déterminer certains penchants idéologiques.

L’opinion comme méthode pédagogique ?

Les prises de position et les commentaires provocateurs ont parfois l’avantage d’attirer l’attention des étudiants et même de stimuler leur intérêt. L’étudiant en études internationales Jeremy Laniel se souvient d’un cours d’économie qu’il a suivi à l’hiver 2011 avec le professeur d’économie Chiheb Charchour. La vision néolibérale du professeur a permis d’attirer l’attention et de rendre la matière plus claire. « Il avait une façon de sortir de la matière et d’être dans le concret, de concevoir un enjeu municipal et d’y trouver une réponse néolibérale claire et nette », affirme Jeremy.

Pour Mme Lefrançois, les professeurs doivent quand même faire preuve d’éthique professionnelle. « Si je commence à présenter mes opinions sur les coupes budgétaires dans la santé, ça n’a pas rapport avec la matière abordée au cours », affirme-t-elle. Mais la professeure admet que lancer une affirmation volontairement provocatrice peut avoir des avantages pédagogiques, comme celle de créer un débat intéressant.

Toutefois, pour Laurence McFalls, même une opinion qui sort du contenu du cours peut trouver une pertinence dans la mesure où cela stimule l’attention. « Changer de sujet peut avoir un bienfait pédagogique, explique-t-il. Il peut y avoir un lien qui n’est pas évident tout de suite. »

Dans la mesure où l’enseignement et la philosophie de M. Blattberg sont basés sur le dialogue, l’expression de l’opinion dans son cours est un élément clé de l’apprentissage. Il présente la sienne et accueille celle des étudiants.« La matière n’est pas simplement technique, je ne me présente pas comme étant un expert, affirme-t-il. Je traite les étudiants comme des adultes. S’il y a un lien avec la matière, c’est tout à fait correct d’exprimer son opinion. Il ne faut pas cacher son opinion, mais faciliter l’échange. »

Spécialiste du sociologue Max Weber, Laurence McFalls ajoute une nuance. « Le simple fait de choisir de porter le chapeau de savant et de faire de la science relèverait d’un choix subjectif, c’est ainsi que Weber parle d’objectivité entre guillemets », explique-t-il.

En salle de classe, l’objectivité serait alors un idéal concrètement inatteignable. « Les professeurs tendent vers l’objectivité, croit Susana Ponte Rivera. Je pense que la plupart d’entre eux ne veulent pas abuser de leur tribune, mais bien nourrir notre sens critique. » Les professeurs sont les seuls membres du personnel de l’UdeM autorisés à exprimer leurs opinions personnelles aux médias ainsi qu’en classe.