Un bourreau nommé « Nostalgie »

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Par Patrick MacIntyre
mercredi 3 juin 2015
Un bourreau nommé « Nostalgie »
Jacques Parizeau à l'UdeM en 2012. Crédit photo : Pierre-Luc Daoust
Jacques Parizeau à l'UdeM en 2012. Crédit photo : Pierre-Luc Daoust
Un charisme naturel, presque affolant. Le français est impeccable. La diction est nette. Il est digne des plus grands orateurs grecs, version 2.0, cravate remontée et veste ajustée. Lui, il sait parler aux Québécois. Enfin, il savait. Parce que ça, c’était avant.

« La politique, c’est plus ce que c’était ma petite dame… » Éternels insatisfaits que nous sommes à 20, 25, 30 ans, nous préférons nous convaincre que l’herbe était plus verte il y a quelques décennies. « La robe de grand-maman est si belle ! Il me la faut absolument », « J’ai trouvé un vinyle incroyable de Janis Joplin ! », « Les discours de Jacques Parizeau, c’était quelque chose, regarde cette vidéo ! »

Que retiendrons-nous de la génération Y dans 50 ans ? Génération connectée, individualiste, impatiente et désenchantée ? Faut-il demander à ses parents vieillissants d’arrêter de raisonner au passé quand on porte les leggings à fleurs de son enfance ? Des parents qui, durant leur jeunesse, avaient plutôt les yeux rivés vers l’avenir.

M. Parizeau est considéré comme un grand homme politique québécois, sans doute à raison. « En montant à la gare Windsor, j’étais fédéraliste; en descendant à Banff, j’étais séparatiste* ». Ça, c’était M. Parizeau. Beaucoup ont tenu à rendre hommage à « l’un des bâtisseurs du Québec moderne », comme l’a titré Ici Radio-Canada à la suite de son décès, ainsi qu’à un grand orateur.

Le discours ambiant concernant l’actuel chef du Parti québécois, Pierre-Karl Péladeau, est assez différent. Dans un article de La Presse intitulé « Un meneur bien ordinaire », le journaliste Vincent Marissal affirme : « M. Péladeau manque de naturel, il manque d’humour, ses réponses sont longues et vagues, le plus souvent émaillées de lieux communs** ».

La différence de charisme entre les deux hommes politiques semble causer du tort à la réputation de l’un, mais êtes-vous si sûrs que la mémoire ne vous ment pas ?

Bashing politique : mode d’emploi

Entendez-vous aujourd’hui les Québécois ne pas tarir d’éloges pour un homme politique brillant et charismatique qui se démarque, tous camps politiques confondus ? Vivons-nous à l’ère du bashing politique ? C’était mieux AVANT, quoiqu’il arrive, alors à la guillotine les nouveaux !

Le dénigrement politique peut être couru d’avance : Pierre-Karl Péladeau se fait essentiellement critiquer aujourd’hui pour son manque d’expérience politique et parce qu’il est l’actionnaire de contrôle d’un véritable empire médiatique. Le leader parlementaire du gouvernement, Jean-Marc Fournier, évoquait en mai dernier les risques de transformation du Parti québécois en « Parti Québecor*** ». Le chef du Parti est condamné d’avance par une partie de la population. 

Le dénigrement politique peut également naître juste après un espoir déçu. Il suffit que vous baissiez dans l’estime du peuple : celui-ci devient alors féroce et sans pitié. S’il est question de votre intégrité politique, vous avez encore une chance de vous en sortir. Mais si c’est votre charisme qui est en cause, il sera difficile de recoller les morceaux.

En France, en 2012, François Hollande était attendu comme le messie par de nombreux Français après l’ère Sarkozy. Après son élection, il a pourtant été très rapidement surnommé « Flamby » (nom d’un flan au caramel industriel) ou « Pèpère » en raison de son dit « manque de charisme ». Sa cote de popularité est depuis en berne. À l’heure du « Hollande bashing » et 20 ans après l’élection de Jacques Chirac, certains médias français parlent désormais de « nostalgie Chirac ». Des tee-shirts à l’effigie de l’ancien président se vendent comme des petits pains outre-Atlantique.

Pourtant, The Economist rappelle qu’alors que la France était sous sa présidence, « le chômage a atteint les 10 %, les déficits se sont creusés, les Français ont dit non à l’Europe et les banlieues se sont enflammées. À son départ de l’Élysée, Chirac était même accusé de détournement de fonds en tant qu’ancien maire de Paris dans les années 1990. »

Tout cela signifie-t-il que nous avons d’abord besoin d’une personne qui sache incarner avec ferveur, charisme et poigne les valeurs que nous défendons ? Qu’il s’agit, à nos yeux, d’une condition sine qua non pour considérer ensuite plus précisément les propositions politiques et les actes ?

Plus tard, il ne nous restera plus que notre mémoire sélective, celle qui oubliera les zones d’ombre de l’être si charismatique. En un mot, la nostalgie.

Et l’université dans tout ça ? 

Admettons que nous ayons bien raison d’être des nostalgiques convaincus, attachés aux « grands hommes politiques », ceux qui ont su avant tout nous parler. Doit-on considérer que l’université a un rôle à jouer dans l’enseignement du leadership, loin d’être inné chez tout le monde ? Un cours de leadership dans un cursus politique devrait-il être obligatoire, et faudrait-il arrêter de se focaliser autant sur les stratégies de communication ?

En attendant, l’Équipe de débat de l’UdeM semble être une bonne école pour de futurs leaders qui veulent être de bons orateurs.

Pour les politiciens déjà en place, acharnez-vous à transmettre votre passion à la génération « Nostalgie », mais bonne chance pour passer entre les mailles du filet de cette ère du bashing à tout-va, qui ne se privera pas, à tort ou à raison, de vous assommer d’un coup sec et fatal à la première occasion.

Quant aux aspirants politiciens sans charisme : pensez d’ores et déjà à votre reconversion. La chute sera sévère et sans appel.

 

*Ici.Radio-Canada.ca
**lapresse.ca
***lapresse.ca