Trois voix au féminin

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Par Rose Carine Henriquez
vendredi 13 janvier 2017
Trois voix au féminin
Crédit Photo: Rose Carine Henriquez
Crédit Photo: Rose Carine Henriquez
L’année 2016 s’est terminée et nos bibliothèques sont déjà impatientes de recevoir les nouveautés de 2017. Avant de nous lancer dans ce qu’offre la nouvelle année, parlons de trois plumes singulières de la relève littéraire de 2016 qui abordent toutes avec originalité l’univers féminin, le poids du regard et celui du corps.

Déterrer les os

Fanie Demeule

Hamac

Avec Déterrer les os, la doctorante en études littéraires à l’UQAM Fanie Demeule, offre un premier roman frappant avec un style incisif dans lequel la narratrice est aux prises avec un trouble alimentaire, l’anorexie. Un sujet délicat que l’auteure aborde avec clarté, sans tomber dans le pathos. Il y a une distanciation dans le texte qui n’enlève rien à l’intimité. Composé de fragments, allant d’une phrase à des paragraphes plus longs, le roman livre les réflexions vives du personnage, de l’enfance à l’âge adulte.

La narratrice, dégoûtée par ce corps qu’elle n’a pas choisi, un corps hanté par la mort, a toujours peur que celui-ci la trahisse. Le sujet trouve un miroir avec d’autres problématiques, car le corps, l’objet en faute, renvoie à la complexité de s’accepter, de se contenter d’être. « Dans le monde d’avant, ma faim a dû être tellement immense que jamais plus elle ne pourrait se combler dans cette vie. » Cette lutte avec soi-même est une lutte une constante, inflexible que s’infligent les femmes dès l’âge de raison. Faudrait-il cacher tous les miroirs ?

Crédit photo: Martin Legault.

Crédit photo: Martin Legault.

 


Des femmes savantes

Chloé Savoie-Bernard

Tryptique

Dans Des femmes savantes, deuxième publication de la doctorante en littératures de langue française de l’UdeM Chloé Savoie-Bernard, le regard des autres est omniprésent. Les 14 nouvelles mettent en scène des personnages féminins qui s’abreuvent d’une quête d’approbation, d’un désespoir d’exister enfin dans la rétine d’autrui, d’un désir de briller.

Pourtant, tapies dans leur silence, ces femmes sont la conscience incarnée. Elles sont lucides dans la violence qu’elles subissent, parce que « les chattes choisissent toujours leurs maîtres. » Chloé livre une parole crue, donnant voix à une génération de femmes prises dans leurs contradictions, esclaves et maîtresses en même temps. Ce sont les femmes ordinaires d’aujourd’hui qui se taisent, alors que brûle en elles un feu sauvage.

Crédit Photo: Mathieu Gauvin.

Crédit Photo: Mathieu Gauvin.

 


Je n’ai jamais embrassé Laure 

Kiev Renaud

Leméac

Je n’ai jamais embrassé Laure, deuxième roman de la doctorante en littératures de langue française de McGill Kiev Renaud, se lit le temps d’un trajet en banlieue. Court, efficace et captivant. Dans ce petit livre qui joue sur les non-dits et l’évocation, le lecteur est libre de recoller les morceaux de cette histoire et d’en combler les trous. L’histoire de Florence et Laure, des amies d’enfance à la relation ambiguë, et de Cassandre, la fille de Florence qui observe depuis sa solitude cette amitié étrange et même convoitée. « J’ai cru longtemps que les hommes et les femmes faisaient des enfants puis se retournaient vers leurs semblables, comme on se regarde dans le miroir. »

La parole est donnée à ces trois personnages dans les trois parties qui constituent le livre. Florence revient sur le passé, au temps où ses amies et elle jouaient à la prostituée, où elle était fascinée par l’accouchement et par le corps de Laure. Cassandre, qui s’invente des amies, aurait voulu se faire enlever par la complice de sa mère. Laure, quant à elle, se penche sur le lien très intime qui l’unit à Florence, qu’elle aurait voulu porter en son sein. Dans une écriture fluide, par touches délicates, se dévoilent l’amitié fusionnelle, la sensualité, les fantasmes et ce regard constamment tourné vers le corps.

Crédit Photo: Matthew Gaines

Crédit Photo: Matthew Gaines