Toucher avec les yeux

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Par Etienne Fortier-Dubois
mercredi 30 novembre 2016
Toucher avec les yeux
De gauche à droite : l’étudiant au doctorat en muséologie, médiation et patrimoine à l’UQAM Flavio Cardellichio ; un guide de la réserve Pessamit ; Waël Chanab, cofondateur d’Imagine360 et Daniel Arsenault le défunt professeur d’archéologie à l’UQAM. Crédit photo : Courtoisie Waël Chanab.
De gauche à droite : l’étudiant au doctorat en muséologie, médiation et patrimoine à l’UQAM Flavio Cardellichio ; un guide de la réserve Pessamit ; Waël Chanab, cofondateur d’Imagine360 et Daniel Arsenault le défunt professeur d’archéologie à l’UQAM. Crédit photo : Courtoisie Waël Chanab.
Quartier Libre transporte ses lecteurs sur le terrain, au cœur de projets de recherche menés par des étudiants. Dans ce numéro, l’étudiant au doctorat en muséologie, médiation et patrimoine à l’UQAM Flavio Cardellicchio utilise la réalité virtuelle pour mettre en valeur un site d’art rupestre amérindien.

Dans le cadre de ses recherches sur l’utilisation des technologies d’immersion dans la valorisation du patrimoine, Flavio Cardellicchio s’est rendu en février dernier sur le site de Nisula, près de Forestville en Haute-Côte-Nord. Le but de la mission était de capturer en photos et vidéos immersives une paroi rocheuse où sont peints des pictogrammes vieux de 2000 ans. Selon Flavio, la réalité virtuelle représente une opportunité de faire connaître ce site tout en le préservant d’un danger de tourisme de masse. « C’est très fragile, on ne voudrait pas que des touristes viennent y toucher ou faire des graffitis », explique-t-il. L’endroit est géré par la communauté innue de Pessamit mais reste accessible au public.

Le caractère sacré du site pour la communauté innue a présenté une première difficulté. « On ne peut pas arriver sur place sans avertir, indique Flavio. Pour les autochtones, des sites comme celui-là, ce sont leurs cathédrales. » Il qualifie d’ailleurs l’endroit, situé à une heure de motoneige de Forestville, de mystique. C’est grâce aux recherches du défunt professeur d’archéologie à l’UQAM Daniel Arsenault, qui étudiait le site depuis plus de vingt ans et cultivait de bonnes relations avec la communauté, que le projet a pu aller de l’avant.

Sur la Haute-Côte-Nord, le plus grand obstacle était probablement le froid, selon Flavio. L’équipe d’Imagine360, une jeune entreprise de réalité virtuelle dont il fait partie, a dû attendre le milieu de l’hiver pour réaliser la capture puisque la paroi était accessible par un lac. Il fallait donc attendre que la glace soit assez épaisse pour installer l’équipement. Or, les appareils utilisés ne tolèrent pas bien les températures pouvant descendre en dessous de -30 °C. « On devait faire un petit feu pour réchauffer les piles et permettre au drone de démarrer, illustre le responsable technologique du projet et cofondateur d’Imagine360, Waël Chanab. Par contre, le froid était un avantage pour les caméras GoPro, qui ont tendance à surchauffer lorsqu’elles sont rassemblées par six pour les photos à 360 degrés. »

Sociofinancer la diffusion

Quartier Libre a fait l’expérience de l’un des résultats de cette prise d’images. Coiffer le casque de réalité virtuelle permet aussitôt d’être transporté sur le lac gelé, devant l’œuvre d’art rupestre. L’objectif ultime du projet est de créer une exposition muséale itinérante qui mettrait en valeur, de cette façon, quatre sites d’art rupestre canadiens encore indéterminés. Chaque site pose ses propres défis, selon Flavio, car il faut conclure des accords avec un grand nombre d’organisations locales.

Nisula comporte cependant un avantage, car c’est un site artistique, il est donc plus aisé de convaincre les autorités ou le public de le préserver. « Les sites ornés sont visuellement plus attrayants, donc plus faciles à mettre en valeur et à conserver que ceux qui sont exclusivement des sites d’occupation sans traces d’art », affirme l’étudiant à la maîtrise en archéologie à l’UdeM Maxime Vaillancourt.

Avant d’en arriver là, toutefois, la question du financement s’impose. Flavio mise sur des partenariats avec des musées, des universités et des gouvernements, mais aussi sur le sociofinancement. « Pour chaque site, on peut diviser le travail en trois phases : la captation numérique du terrain, la rédaction des contenus et la mise en pratique du projet avec les musées, explique-t-il. J’ai calculé qu’on a besoin de 60 000 $ pour faire tout ça. » Une cible qu’il juge modeste considérant qu’elle permettrait de diffuser, sans le mettre en danger, un patrimoine précieux pour les autochtones comme pour le reste de la société.

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