Surdose de sexe

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Par Edith Pare-Roy
mardi 5 avril 2011
Surdose de sexe

Ça s’annonçait comme une soirée tranquille à regarder Six pieds sous terre. Mais j’ai la mauvaise idée de lancer «Quelle bitch!» en parlant de Brenda qui collectionne les baises, même si elle est en couple exclusif avec le beau Nate. À ma grande surprise, mon amie se met à pleurer : «Tu peux pas comprendre ! Parfois, c’est impossible de s’en empêcher même quand on est en couple et en amour.» Ma réponse : «Ouate de phoque?!» «Je pense que j’ai le problème de Brenda», me confie-t-elle à mi-voix.

Histoire(s) de cul

Quelques minutes pour me ressaisir plus tard, j’appuie sur «pause» et approche la boîte de Kleenex. Puis, la question qui tue : «Max est au courant que tu le trompes?» Elle baisse la tête : «Non, tu es la première à qui j’en parle. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive. On dirait que ma libido a pris le dessus sur ma vie… Même si je fais souvent l’amour avec mon copain, ce n’est plus assez pour moi. Donc, je couche avec d’autres hommes. Plusieurs.»

Je mange et bois mes émotions (chips au ketchup et bière) pendant qu’elle continue sa crise de larmes. Après un long moment, elle touche le fond de sa tristesse et moi, de mon sac de chips. Le silence plane. Ses yeux bouffis me regardent, suppliants. Il faut trouver des solutions. Par paresse ou par dernier recours, je me convaincs que des idées d’intervention surgiront durant l’émission.

Mets tes culottes

À l’écran, Brenda me fait douter de ma démarche d’aide: loin de se calmer, elle voit de plus en plus d’hommes et participe à des orgies. Mon amie se trouve d’ailleurs dans tous ses états . Heureusement, la situation évolue dans un autre épisode : après avoir réalisé qu’elle souffre de dépendance sexuelle, Brenda suit une thérapie et s’inscrit dans un groupe de soutien pour les sexoliques.

«Voilà ce que tu devrais faire !» Soulagée par la simplicité de la chose, je me rends à la cuisine pour chercher d’autres bières question d’alléger l’atmosphère. À mon retour, mon amie, de toute évidence déjà saoule, m’attend nue sur le divan en me faisant les yeux doux. Encore une fois, la réalité dépasse la fiction.

C’est bien beau tout ça, mais il y a plus urgent à faire. «Mets tes culottes, on a un problème à régler.» Mon amie, sitôt rhabillée, part en prétextant qu’elle doit terminer un travail. Je n’ai pas dit mon dernier mot.

Sans la ceinture de chasteté

Le lendemain, je consulte une sexologue, Nicole Desjardins, sur la question. Elle spécifie d’abord qu’il ne faut pas confondre une grande activité sexuelle et une dépendance sexuelle. «Celle-ci entraîne de l’anxiété et de l’insatisfaction plutôt que du plaisir. En cas de déséquilibre, la personne doit consulter un spécialiste afin d’être encadrée.»

Je continue : «Que pourriez-vous faire pour mon amie?» La sexologue répond qu’elle suggère en premier à ses patients de s’interroger sur la nature de leurs obsessions. Ensuite, ils doivent trouver leurs propres stratégies pour modifier les comportements qui les font souffrir. Je lui demande : «Le traitement se fait donc sans le recours à la ceinture de chasteté ?» «En effet, les spécialistes déconseillent l’abstinence totale. Le même phénomène s’observe avec les diètes sévères : la privation forcée crée des obsessions qui grandissent jusqu’à la rechute », affirme Mme Desjardins. Cette dernière prône plutôt une thérapie comportementale et de meilleures habitudes de vie (s’entraîner, sortir avec des amis, bien dormir, boire de l’alcool modérément, etc).

Avant de la quitter, je ne peux retenir une question cliché : « Y a-t-il de l’espoir pour mon amie ?» «Même si le processus peut être long selon l’origine du problème et la motivation de la personne, il est possible de retrouver une sexualité saine», m’assure-t-elle, rassurante. Les larmes de joie me montent aux yeux.

La modération a bien meilleur goût

Mon amie, au bout de quelques séances, décide d’aborder le sujet avec son copain, qui devient du coup ex-copain. Hélas, Max le prend mal (c’est un euphémisme). Loin de lui offrir son appui et son aide, il la laisse aussitôt, sans oublier par la suite de la traiter de nymphomane sur son babillard Facebook.

C’est donc moi qui accompagne l’amie en question aux réunions des Dépendants sexuels et affectifs.

La formule lui convient bien: il y a un tour de parole où les invités partagent leurs histoires et décrivent leurs progrès ou problèmes. Les réunions se passent dans une ambiance respectueuse, sans jugement. Les dépendants sexuels en rémission peuvent aussi être jumelés avec des ex-dépendants, pour une écoute et un suivi en dehors des rencontres hebdomadaires.

Même si ça me fait plaisir d’accompagner mon amie, j’ai hâte qu’elle guérisse pour qu’on termine Six pieds sous terre en buvant une bière ou deux (mais pas trois).

Cette histoire fictive s’inspire de faits réels. Je remercie J., un dépendant sexuel en rémission, de m’avoir partagé son histoire. Également, mes remerciements à A., membre des Dépendants sexuels et affectifs, pour les informations par rapport à son groupe.